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ÉCLAIRCISSEMENT

bien de les renvoyer, non pas à une dispute, mais à une réponse assez semblable à celle que l’ange Gabriel fit à la Vierge [1].

Aujourd’hui, tout comme au temps de Lactance, l’on peut assurer que la recherche de la véritable religion se doit faire en s’adressant à la prétendue et apparente folie sous laquelle Dieu a caché les trésors de sa sagesse [2]. Quid putemus fuisse causæ, cur tot ingeniis, totque temporibus summo studio et labore quæsita (sapientia) non reperiretur ; nisi quòd eam philosophi extra fines suos quæsierunt ? Qui quoniam peragratis, et exploratis omnibus, nusquàm nullam sapientiam comprehenderunt, et alicubi esse illam necesse est : apparet, illic potissimùm esse quærendam, ubi STULTITIÆ titulus apparet ; cujus velamento Deus, ne arcanum summi sui divini operis in propatulo esset, thesaurum sapientiæ ac veritatis abscondit [3]. Le même Lactance a observé judicieusement en un autre endroit, qu’il est de la majesté suprême de Dieu de parler en maître, et de dire en peu de mots, Cela est vrai ; et non pas d’argumenter et de joindre quelques preuves à ses décisions : Quæ (divina) quidem tradita sunt breviter, ac nudè, nec enim decebat aliter : ut cùm Deus ad hominem loqueretur, argumentis assereret suas voces, tanquam fides ei non haberetur : sed ut oportuit, est locutus, quasi rerum omnium maximus judex ; cujus est non argumentari, sed pronuntiare verum [4]. Si Sénèque a dit qu’il n’y a rien de plus froid qu’une loi avec un prologue, et qu’il ne faut pas qu’une loi dispute, mais qu’elle commande : si Sénèque, dis-je, a parlé ainsi des lois humaines, à plus forte raison le doit-on dire de la loi de Dieu. Non probo, quòd Platonis legibus adjecta principia sunt. Legem enim brevem esse oportet, quò facilis ab imperitis teneatur, velut emissa divinitùs vox sit ; jubeat, non disputet. Nihil videtur mihi frigidius, nihil ineptius, quàm lex cum prologo. Mone, dic quid me velis fecisse : non disco, sed pareo [5].

De tout ce que je viens de dire il est aisé de conclure que l’on ne peut s’alarmer des objections pyrrhoniennes, sans faire paraître l’infirmité de sa foi, et sans prendre du mauvais sens ce qu’il fallait prendre de la bonne anse.

IV. Un véritable fidèle, un chrétien, qui a bien connu le génie de sa religion, ne s’attend pas à la voir conforme aux aphorismes du lycée, ni capable de réfuter par les seules forces de la raison les difficultés de la raison. Il sait bien que les choses naturelles ne sont point proportionnées. aux surnaturelles, et que si l’on demandait à un philosophe de mettre au niveau, et dans une parfaite convenance, les mystères de l’Évangile et les axiomes des aristotéliciens, on

  1. Comment se fera ceci, veu que je ne cognoi point d’homme ? Et l’ange respondant lui dit : Le Sainct-Esprit surviendra en toi, et la vertu du souverain t’enombrera. Évangile de saint Luc, chap. I, v. 34, 35.
  2. On entend ceci à l’égard des infidèles.
  3. Lactant., lib. IV, cap. II, p. m. 226.
  4. Idem, lib. III, cap. I, pag. 149.
  5. Seneca, epist. XCIV, pag. m. 388.