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ÉCLAIRCISSEMENT

intérêts, il s’était exposé à une éternelle et irréparable mutilation. Joignez à cela que sa crainte avait été mal fondée, car puisque de toute éternité et par leur nature les états du mal étaient séparés des états du bien, il n’y avait nul sujet de craindre que le mal fit une irruption sur les terres de son ennemi. Simplicius reproche à ses adversaires qu’ils donnent moins de prévoyance et moins de puissance au bon principe qu’au mauvais. Le bon principe n’avait point prévu l’infortune des détachemens qu’il exposait aux assauts de l’ennemi [1], mais le mauvais principe avait fort bien su quels seraient les détachemens que l’on enverrait contre lui, et il avait préparé les machines nécessaires pour les enlever. Le bon principe fut assez simple pour aimer mieux se mutiler, que de recevoir sur ses terres les détachemens de l’ennemi, qui par ce moyen eût perdu une partie de ses membres. Le mauvais principe avait toujours été supérieur [2], il n’avait rien perdu, et il avait fait des conquêtes qu’il avait gardées ; mais le bon principe avait cédé volontairement beaucoup de choses par timidité, par injustice, et par imprudence. L’auteur conclut qu’en refusant de reconnaître que Dieu soit l’auteur du mal, on l’a fait mauvais en toutes manières. Τὸ δὲ ἀγαθὸν, ὡς οὗτοι φασὶν, ἑκουσίως ἑαυτὸ τῷ κακῷ συνέμιξε, καὶ δειλῶς, καὶ ἀδίκως, καὶ ἀνοήτως, κατ᾽ αὐτοὺς, μέχρι νῦν διεγένετο. Ὥςε φεύγοντες, αἴτιον αὐτὸν τοῦ κακοῦ εἰπεῖν, πάγκακον ὑπογράφουσι· καὶ, κατὰ τὴν παροίμιαν, φεύγοντες τὸν καπνὸν, εἰς πῦρ ἐμπεπτώκασι. Cùm bonum ultrò sese cum malo commiscuerit, seque et timidè, et injustè, et amenter (si illis credimus) gesserit. Itaque dum mali causam dicere Deum recusant, ab omni parte malum describunt : et, ut proverbio dicitur, fumum fugientes in ignem inciderunt [3].

Je laisse plusieurs autres observations de Simplicius contre l’hypothèse des deux principes ; car elles en attaquent les endroits qui n’étaient faibles que par le faut particulier des explications arbitraires de ceux qui la soutenaient. Cela convient un peu à quelques-unes des objections de ce philosophe que j’ai abrégées ; mais en voici une qui porte coup, quelle que puisse être la simplicité où l’on voudra considérer la doctrine des deux principes.

Il dit [4] qu’elle renverse entièrement la liberté de nos âmes, et qu’elle les nécessite à pécher, et par conséquent qu’elle implique contradiction ; car, puisque le principe du mal est éternel et impérissable, et si puissant que Dieu même ne le peut vaincre, il s’ensuit que l’âme de l’homme ne peut résister à l’impulsion avec laquelle il la pousse vers le péché. Or, si elle y est poussée invinciblement, elle ne commet point un homicide, un adultère, etc., par sa faute, mais par une force majeure qui vient de dehors ; et en ce cas-là

  1. Simplic., in Epicteti Enchir., capite XXXIV, pag. 164. Édit. Lugd. Bat. 1640.
  2. Notez que ceci prouve qu’on reconnaissait que le mal surpasse le bien dans le monde.
  3. Idem, ibid., pag. 168.
  4. Idem, ibid., pag. 169.