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SUR LES MANICHÉENS.

IIe. ÉCLAIRCISSEMENT.

Quelle est la manière dont il faut considérer ce que j’ai dit concernant les objections des manichéens.


Ceux qui se sont scandalisés de certaines choses que j’ai observées dans les articles où j’ai traité du manichéisme, seraient pleinement inexcusables, s’ils s’étaient fondés sur ce que j’ai dit que la question de l’origine du mal est très-difficile ; car les anciens pères l’avouent ingénument [1], et il n’y a point aujourd’hui de théologien orthodoxe qui ne fasse le même aveu. Je crois donc que ce n’est point en cela que l’on a trouvé la pierre d’achoppement, et je suis persuadé qu’on ne l’a trouvée qu’en ce que j’ai prétendu que les objections des manichéens sont insolubles, pendant qu’elles ne sont discutées qu’au tribunal de la raison.

Cela ne saurait manquer d’être choquant pour ceux à qui un grand zèle de la vérité évangélique persuade qu’elle triomphe du mensonge dans toutes sortes de combats, et de quelques armes qu’il se serve. Ils trouvent tant de plaisir à la lecture d’un livre où l’on fait voir que la transsubstantiation est terrassée, soit qu’on la combatte par le témoignage des sens et par les principes de la philosophie, soit qu’on la combatte par l’Écriture et par la tradition des premiers siècles ; ils trouvent, dis-je, tant de plaisir à une victoire si complète qu’ils se persuadent facilement que toutes les disputes de l’orthodoxie ont le même sort. Flattés agréablement d’une si douce persuasion, ils s’irritent et ils s’indignent quand ils voient que l’on avoue que tous les articles de la foi chrétienne, soutenus et combattus par les armes de la seule philosophie, ne sortent pas heureusement du combat ; qu’il y en a quelques-uns qui plient, et qui sont contraints de se retirer dans les forteresses de l’Écriture, et de demander qu’à l’avenir ils aient la permission de s’armer d’une autre manière, faute de quoi ils refuseront de rentrer en lice.

Ceux qui se fâchent de se voir ainsi inquiétés dans la possession de l’image d’un plein triomphe, craignent d’ailleurs qu’en avouant une sorte d’infériorité on n’expose la religion à une défaite totale, ou que pour le moins on n’affaiblisse notablement sa certitude, et que l’on n’avance les affaires des ennemis de l’Évangile.

Un scandale pris de la sorte a deux circonstances favorables : l’une qu’il naît d’un bon principe, l’autre qu’on le peut lever facilement. C’est l’amour de la vérité qui le produit, et il ne faut que remonter à la considération du caractère des vérités évangéliques pour se délivrer de toute cette inquiétude. Car on verra que, bien loin que ce soit le propre de ces vérités de s’accorder avec la philosophie, il est au contraire de leur essence de ne se pas ajuster avec ses règles [2].

Les catholiques romains et les

  1. Voyez ci-dessus, citation (108) de l’article Pauliciens, tom. XI, pag. 502.
  2. Restreignez ceci aux vérités évangéliques qui contiennent des mystères ; car il faut avouer que les préceptes de la morale de Jésus-Christ se peuvent facilement concilier avec la lumière naturelle.