Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T15.djvu/282

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
274
ÉCLAIRCISSEMENT

de quoi il était question. Je n’ai jamais mis en parallèle l’athéisme qu’avec le paganisme. Ainsi la vraie religion est hors de pair et hors d’intérêt. Il ne s’agit que des religions introduites et fomentées par le démon ; il s’agit de voir si ceux qui ont professé un culte aussi infâme dans son origine et dans ses progrès que celui-là, ont été plus réguliers dans la pratique des bonnes mœurs que les athées. Je suppose comme un point indubitable et pleinement décidé, que dans la vraie religion il y a non-seulement plus de vertu que partout ailleurs, mais que hors de cette religion il n’y a point de vraie vertu, ni point de fruits de justice. À quoi sert-il donc de faire paraître que l’on craint que je n’offense cette vraie religion ? Est-elle intéressée dans le mal que l’on peut dire de la fausse ? et ne doit-on pas appréhender que ce grand zèle que l’on témoigne ne scandalise les gens de bon sens, qui verront que c’est faire le délicat en faveur d’un culte détesté de Dieu, et produit par le démon, ainsi que le reconnaissent tous nos docteurs en théologie ?

IX. Je ne pourrais pas justement trouver mauvais que l’on murmurât, si j’avais fait un roman où les personnages fussent vertueux et sans religion ; car, comme j’aurais été le maître de leurs actions et de leurs paroles, il m’aurait été libre de les peindre selon le goût des lecteurs les plus scrupuleux : mais mon Dictionnaire est un ouvrage historique, je n’ai point le droit d’y représenter les gens comme on voudrait qu’ils eussent été, il faut que je les représente comme ils étaient ; je ne puis supprimer, ni leurs défauts, ni leurs vertus. Puis donc que je n’avance touchant les mœurs de quelques athées que ce qu’en rapportent les auteurs que j’ai cités, on n’a pas raison de se choquer de ma conduite. Il ne faut, pour faire rentrer en eux-mêmes les censeurs, que leur demander s’ils croient que la suppression des faits véritables est du devoir d’un historien. Je m’assure qu’ils ne signeraient jamais une telle proposition.

X. Ce n’est pas que je ne croie qu’il y a des gens assez ingénus pour avouer qu’une vérité de fait doit être étouffée par un historien, lors qu’elle est capable de diminuer l’horreur de l’athéisme, et la vénération que l’on a pour la religion en général. Mais je les supplie très-humblement de trouver bon que je continue de croire que Dieu n’a pas besoin de ces artifices de rhétorique, et que si cela peut avoir lieu dans un poëme ou dans une pièce d’éloquence, il ne s’ensuit que j’aie dû l’adopter dans un Dictionnaire historique. Ils me permettront de leur dire qu’il suffit de travailler pour la bonne religion ; car tout ce que l’on ferait pour la religion en général servirait autant au paganisme qu’au christianisme.

XI. J’aurais été d’autant plus blâmable de supprimer les vérités dont on se plaint, qu’outre que j’aurais agi contre les lois fondamentales de l’art historique, j’aurais éclipsé des choses qui sont au fond très-avantageuses au vrai système de la grâce.