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SUR LE PRÉTENDU JUGEMENT DU PUBLIC.

Cùm dare conantur, priùs oras pocula circum, etc.

XXX. C’est ici le lieu de répondre aux dernières lignes de la page 29 : Les personnes du meilleur goût entre ses propres amis avouent qu’on pouvait retrancher de son ouvrage une grande moitié sans lui faire tort. Ces personnes-là n’en disent pas tant que moi : je passe jusqu’aux deux tiers, et jusqu’aux trois quarts, et au delà : et si l’on me commandait d’abréger mon Dictionnaire, en telle sorte qu’au jugement d’un Henri Valois il ne contînt rien que de bon, je le réduirais à un livre à mettre à la poches. Henri Valois et les savans de sa volée trouvent superflu dans un ouvrage tout ce qu’ils savent déjà, ou tout ce qu’ils n’espèrent point de tourner un jour à leur profit. Mais ils devraient compatir aux nécessités des demi-savans, et du vulgaire de la république des lettres. Ils devraient savoir qu’elle est divisée en plus de classes que la république romaine. Chacune a ses besoins, et c’est le propre des compilations de servir à tout le monde, aux uns par un côté, et aux autres par un autre. Ils se trompent donc malgré leurs belles lumières, lorsqu’ils disent absolument : Ceci est utile et nécessaire, cela est superflu. Ces attributs ne sont-ils pas relatifs ? Dites plutôt : Cela est utile ou inutile pour moi et pour mes semblables, utile ou inutile néanmoins pour cent autres gens de lettres. Ce n’est pas raisonner juste que de dire, un tel ouvrage mériterait mieux l’approbation des plus savans hommes de l’Europe s’il était plus court, donc il eût fallu le faire plus court. N’allez pas si vite. Il n’y a rien d’inutile dans ces volumes que vous marquez ; car ce qui ne vous peut servir servira à plusieurs autres : et je suis bien assuré que si l’on pouvait assembler tous les bourgeois de la république des lettres, pour les faire opiner l’un et l’autre sur ce qu’il y aurait à ôter ou à laisser dans une vaste compilation, on trouverait que les choses que les uns voudraient ôter seraient justement les mêmes que les autres voudraient retenir. Il y a cent observations à faire, tant sur les véritables qualités de cette sorte d’ouvrage, que sur l’inséparabilité de la critique et des minuties. On en peut aussi faire beaucoup sur la différence qui se rencontre entre un bon livre et un livre utile : entre un auteur qui ne se propose que l’approbation d’un petit nombre de scientifiques, et un auteur qui préfère l’utilité générale à la gloire de mériter cette approbation, qui n’est pas moins difficile à conquérir qu’une couronne. Mais on trouvera de meilleures occasions de traiter cette matière.

Ne passons pas plus avant sans marquer un gros mensonge du treizième extrait. L’anonyme écrivant de Londres, le 25 mai 1697, assure que le libraire Cailloué n’avait pas vendu 40 exemplaires. On peut prouver par une lettre qu’il a écrite le 22 de mars 1697, qu’il en avait vendu cinquante-deux : et notez cette circonstance ; il répondit ainsi sur ce que l’imprimeur de ce Dictionnaire lui avait mandé qu’il