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SUITE DES RÉFLEXIONS

impunément que l’on ne saurait prouver que par l’Écriture l’immortalité de l’âme. Je ferai voir dans le supplément de ce Dictionnaire, à l’article de Pomponace, qui est déjà composé, qu’il n’y eut jamais de persécution plus mal fondée que celle qu’on fit à Pomponace à ce sujet-là [* 1].

À l’égard de Méziriac, si l’on prétend que j’ai pris de lui des observations sans le citer, on me calomnie. Ni lui ni aucun autre écrivain ne m’ont rien fourni dont je ne leur aie fait honneur en les citant, et en me servant même de leurs paroles presque toujours. Comme l’auteur de la lettre ne dit point si j’ai cité Méziriac ou non, je ne puis point l’accuser de dire que j’ai été plagiaire : mais j’impute très-justement ce mensonge à celui qui a publié l’extrait, car voici son commentaire : Un de nos extraits dit qu’il a pris de Méziriac, sur les épîtres d’Ovide, tout ce qu’il dit des divinités païennes, et que ce livre est assez rare. Voilà son grand art : il connaît assez bien les livres, il sait ceux qui sont rares et ceux qui sont communs : il pille avec hardiesse ceux qui sont rares, assuré que peu de gens s’apercevront du vol. Nous avons ici un exemple du péril qu’on court, quand on se mêle de parler d’un livre que l’on n’a point lu. Si le commentateur de l’extrait avait lu mon Dictionnaire, je doute qu’il eût osé dire que j’ai pillé Méziriac : il aurait vu que je le cite toujours. J’en ai usé de la sorte envers tous ceux qui m’ont fourni ou des faits ou des pensées.

XXIX. Je crois aisément que les observations de mythologie ont été bien ennuyantes. On m’a écrit la même chose à l’égard des discussions chronologiques, et en général, de tout ce qu’on peut appeler érudition. Je l’avais bien prévu ; et c’est pourquoi en mille rencontres je considérai ces choses comme l’écart du jeu de piquet. Je m’en défis, et je portai d’autres cartes, moins fortes à la vérité, mais plus capables de faire gagner la partie : car nous sommes dans un siècle où on lit bien plus pour se divertir que pour devenir savant. Si j’avais fait mon Dictionnaire selon le goût de M. l’abbé Renaudot, personne ne l’eût voulu imprimer ; et si quelqu’un avait été assez hasardeux pour le mettre sous la presse, il n’en aurait pas vendu cent exemplaires. Si j’en avais ôté toute la littérature, la première édition n’aurait pas duré trois mois. S’imagine-t-il que j’aie pris pour des choses importantes toutes celles que j’ai employées ? Il me ferait tort : je les ai prises pour ce qu’elles sont, et je ne m’en suis servi qu’afin de m’accommoder à la maladie du temps. C’est ce qu’il faut faire quand on ne peut pas la guérir. Si j’avais écrit en latin, je me serais gouverné d’une autre manière ; et si l’on eût eu le goût du siècle passé, je n’eusse mis dans mon livre que de la littérature : mais les temps sont changés. Les bonnes choses toutes seules dégoûtent : il faut les mêler avec d’autres, si l’on veut que le lecteur ait la patience de les lire.

Veluti pueris absinthia tetra medentes

  1. * V. tome XII, pag. 235.