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SUR LE PRÉTENDU JUGEMENT DU PUBLIC.

crédit, ont eu de s’écrire des nouvelles les uns aux autres sur ce chapitre, et de copier des extraits de lettres qu’on faisait passer de main en main chez tous les confrères, et partout ailleurs.

XII. Quant aux charges qu’il assure que j’ai espérées dans la république des lettres, par le moyen de mon ouvrage, je lui réponds qu’il n’a pas mieux rencontré que lorsqu’il disait que M. Arnauld avait fait certaines choses pour recouvrer ses bénéfices. Il reçut alors une mortification qui l’aurait dû rendre plus circonspect. S’il avait lu ma préface, il y aurait vu ma disposition pour les emplois. Il peut dormir en repos de ce côté-là : je n’en ai point voulu, et je n’en veux point. On m’a sondé en plusieurs manières, et de divers endroits, pendant l’impression de mon ouvrage, et l’on a toujours trouvé que je ne voulais dépendre de personne, ni me priver de la pleine liberté dont je jouissais de disposer de tout mon temps. Je n’ai su que par ses extraits que l’on ait dit qu’un ministre avait fait une tentative à Amsterdam. Je crois que cela est faux ; et en tout cas, c’est une chose à laquelle je ne songeai jamais, et que j’eusse refusée.

XIII. Venons à la principale pièce, à l’endroit mignon et favori de notre censeur, à celui qui l’a porté principalement à mettre la main à la plume : on gagerait que c’a été son vrai but ; c’est, en un mot, l’endroit où, avec des airs triomphans, il se glorifie de m’avoir réduit à vivre de la pension d’un libraire. On ne pouvait pas mieux peindre le caractère de son orgueil : son ambition a cela d’exquis et d’insigne, qu’elle le pousse à souhaiter sur toutes choses la dernière partie de l’épitaphe de Sylla. Peu après il témoigne beaucoup de joie de s’imaginer que j’achève de me perdre. Cela est naïf : on aurait tort de l’accuser de contrefaire l’homme de bien et le bon pasteur ; jamais homme ne cacha moins adroitement son faible. Mais que sont devenues mes pensions de la cour de France ? Ont-elles cessé ? Et quand même cela serait, une vie de philosophe comme la mienne a-t-elle pu engloutir ce fonds ? Quoi ! aucune réserve pour l’avenir ? Il ne me reste plus rien que la pension d’un libraire ? Voilà qui est fâcheux : je ne savais pas qu’on eût si bien ou si mal compté avec mes fermiers, pour me servir d’un vieux proverbe. On pourrait dire cent choses divertissantes sur son chapitre par rapport à ses libraires : mais ce serait dommage qu’elles fussent dans un écrit qui sera jeté tout comme le sien à la voirie des bibliothéques, au premier jour. C’est le destin des brochures.

XIV. Il se vante de m’avoir fait plus de mal qu’homme du monde, en me découvrant à toute la terre. Voilà sans doute un personnage bien propre à faire du tort en accusant. Je le renvoie à l’assemblée synodale de la Brille, qui a déclaré orthodoxe le même M. Saurin contre lequel il avait écrit deux volumes remplis de diffamations, à peu près aussi atroces que celles qu’il a publiées contre moi. Il