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ZAHURIS.

ces gens-là (A) ; et tous ceux qui le citent ne le font pas à leur honneur (B) : ou ils n’entendent pas le latin, ou ils se fient à des citations falsifiées. Gutierrius, médecin espagnol, se moque de ce que l’on conte des Zahuris (C).

(A) Del Rio ne raisonne pas bien conséquemment sur ce que l’on conte de ces gens-là. ] Car si une fois on accorde que les Zahuris voient les cadavres et les trésors, on n’a nulle raison de prétendre qu’ils ne voient pas les veines d’eau et les mines d’or et d’argent. Pourquoi donc Del Rio accorde-t-il l’un et nie-t-il l’autre [* 1] ? car c’est le nier que de dire qu’ils connaissent par le moyen des vapeurs, ou par le moyen des herbes, ce qui est caché en un certain endroit de la terre. Une connaissance qui s’acquiert ainsi n’est nullement ce que nous appelons vue. Pour raisonner conséquemment sur ce chapitre il faut ou nier les faits, ou les expliquer tous par une même hypothèse : si le démon est la cause des deux derniers, il peut fort bien l’être des deux autres.

(B) Tous ceux qui le citent ne le font pas à leur honneur. ] Un de ceux qui ont écrit sur la baguette de Pierre Aymar [* 2] allègue Martin Del Rio comme un homme qui, sur le fait des Zahuris, ne s’élance point au delà des causes naturelles [1]. Or cela est visiblement faux, puisque de quatre opérations de ces gens-là il en attribue deux au démon. Voici ce qu’on lui fait dire : Del Rio rapporte qu’on a vu en Espagne certains hommes qu’on appelle Zahuris, à cause de leur vue de lynx. Il dit qu’il en a vu un à Madrid en 1575, et que ces Zahuris étaient en réputation de voir à travers l’épaisseur de la terre les sources d’eau, les trésors et les mines des métaux : il nous apprend qu’encore que ces effets parussent fort surprenans, néanmoins il les expliqua naturellement, et que plusieurs philosophes les rapportaient aussi à des causes naturelles. I. Il ne dit point que ces gens-là soient nommés Zahuris à cause de leur vue de lynx [2]. II. On supprime la vue les corps enterrés, de laquelle il ne dit point qu’il ait expliqué naturellement les trois effets que l’on rapporte ; il dit qu’à l’égard des deux premiers il persiste dans l’explication naturelle qu’il en a donnée ailleurs [3] : mais il attribue l’autre au diable.

(C) Gutierrius.... se moque de ce que l’on conte des Zahuris. ] Il les nomme Zahories, et il blâme d’autant plus la crédulité du peuple à cet égard, que l’on suppose que ces gens-là sont nés le vendredi saint, et que c’est de la vertu de ce jour natal qu’ils tiennent ce merveilleux privilége. Eò magis isti damnandi, quia ex superstitiosâ hominum opinione admittantur putantes tali prærogativâ hos impostores donari, quia nati fuerint die illâ sacrâ, humano generi semper faustâ ac felici, in quâ celebratur apud catholicos memoria Passionis Domini Jesu-Christi, feriâ inquam sextâ Judæorum perfidiâ crucifixi, et quemadmodùm tunc terrâ commotâ atque monumentis apertis latitantia ac sepulta corpora apparuerunt hominibus illâ die, sic altera in quâ recolitur felix illa memoria si natalis alicui hominum fuerit, illam virtutem videndi potentiæ tribuit, aut donat quæ ad interanea terrarum pertingere possit : vide quàm futile ac irreligiosum commentum [4].

  1. * L’auteur des Observations insérées dans la Bibl. franç., tom. XXX, pag. 21, cite le texte de Martin Del Rio, qui dit que le diable indique les objets aux Zahuris, sans ajouter qu’ils le voient. Joly qui rapporte ces Observations ajoute un passage extrait de la Description de la ville de Lisbonne, 1730, in-12, où il est question d’une femme portugaise née avec des yeux que l’on peut dire de lynx ; Joly déclare, au reste, ne pas ajouter beaucoup de foi à tout ce qu’on raconte de cette femme.
  2. * Joly observe qu’ailleurs (V. l’article Abaris, tom. I, pag. 8, 13, 15, 16) Bayle appelle avec raison Jacques Aymar le personnage qu’il nomme ici Pierre Aymar.
  1. Voyez le Mercure Galant de février 1693, pag. 235.
  2. Nôrunt Hispaniæ genus hominum quod vocant Zahuris, nos Lynceos possumus nuncupare Mart. Del Rio, Disq. Magic., lib. I, cap. III, quest. IV, pag. m. 35.
  3. Commentar. in Medeam Senecæ, v. 231.
  4. Joan. Lazarus Gutierrius Sepulbedensis, in academiâ Pincianâ medicinæ publicus professor, Opusculo de Fascino, dubio XI, num. 16, pag. 143.