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CONTENANT LE PROJET.

me font l’honneur de m’aimer. Ceux que j’épargnerai auront quelque sujet de s’en plaindre, parce que ce sera un signe que je ne les crois pas capables d’entendre raison, ou en état de soutenir la moindre perte. Ce dernier motif n’est pas toujours entièrement à rejeter ; car s’il y a des auteurs dont il faille couvrir les fautes, ce sont principalement les pauvres auteurs qu’on aurait bientôt dépouillés jusqu’à la chemise, pour peu qu’on se jetât sur leur friperie : et s’il a des auteurs dont il faille découvrir les fautes, ce sont principalement les plus grands et les plus célèbres ; puisqu’outre que leurs erreurs sont infiniment plus contagieuses que celles d’un écrivain ordinaire, ils ont de grandes ressources de réputation, et des trésors de gloires si abondans que cent naufrages ne sauraient les incommoder [a]. C’est ce qui fait qu’il n’y a guère de gens qui se rétractent avec moins de peine [b], ou qui supportent de meilleure grâce la censure, que ceux qui ont le plus justement acquis le titre de grands auteurs [c]. Préparez-vous, monsieur, à vous voir dans ce dictionnaire, s’il vous est échappé quelque méprise ; mais je n’espère pas de vous avoir donner cette marque de la bonne opinion que j’ai de vous. Vos lumières sont trop exactes et trop vives pour ne chasser pas de vos écrits toute sorte de fausseté ; et d’ailleurs vous avez tellement approfondi l’étude des antiquités grecques et romaines, que vous n’en avez tiré que des choses rares ; de sorte qu’il faudrait être je ne sais combien de fois plus habile que je ne suis, pour voir si vous êtes tombé dans quelque erreur. Si l’on n’est pas content de ces réponses, j’y ajoute d’un côté, que l’instruction du public mérite bien qu’on se sacrifie à la mauvaise humeur de quelques particuliers ; et de l’autre, que je ne donnerai que trop de lieu de se venger aux auteurs que je critique. Je consens de bon cœur que la pareille me soit rendue, ou par eux-mêmes, ou par leurs descendans. On me fera plaisir de me corriger et de me fournir des lumières ; j’en supplie tous mes lecteurs. Je tâcherai de ne point faire de fautes ; mais je suis bien sûr que je n’en ferai que trop. On ne pourra donc pas faire contre moi la plainte qu’on fait contre les censeurs qui ne font rien imprimer de crainte des représailles (C).

VII. La deuxième, qu’il censurera de légères fautes.

En second lieu, l’on trouvera fort étrange que je m’amuse à censurer de petites choses où le manque d’exactitude est comme insensible. J’ai mes raisons pour

  1. On peut se servir à cet égard de cette consolation : Non

    Tam tenuis census tibi contigit ut mediocris
    Jacturæ te mergat onus.
    Juven., sat. XIII, v. 6.

  2. A suturis se deceptum esse Hippocrates memoriæ tradidit, more scilicet magnorum virorum et fiduciam magnarum rerum habentium. Nam levia ingenia quia nihil habent, nihil sibi detrahunt. Magno ingenio multaque nihilominùs habituro convenit etiam simplex veri errorts confessio. Celsus, de Medic., lib. VIII, cap. IV. Voyez aussi Quintilien, lib. II, cap. VI,
  3. Nulli patientiùs reprehenduntur quàm qui maximè laudari merentur. Plin., epist. XX, lib. VII.