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ZAHURIS.

tum ; estque contradicens concipere ante mundum plura momenta ex quibus unum eligatur ad existentiam primam mundi, cæteris partim sine mundo præterlapsis : nam momentum est modus creaturæ quà existentis [1]. Pour moi je fais tout une autre supposition, et je m’assure qu’elle résout la difficulté. Je suppose qu’entre les êtres possibles que bien a connus avant [2] qu’il fit des décrets de création, il faut mettre une durée successive qui n’a ni commencement ni fin, et dont les parties sont aussi distinctes les unes des autres que celles de l’étendue possible que Dieu a pareillement connue avant ses décrets, comme infinie selon les trois dimensions. Il a laissé dans l’état des choses possibles une partie de cette durée infinie, et il a fait des décrets pour l’existence de l’autre. Il a choisi tel moment qu’il lui a plu dans cette durée idéale pour le premier qui existerait, et il y a attaché l’acte par lequel il a décrété de créer le monde. Voilà pourquoi l’éternité de cet acte ne prouve point celle du monde. Voilà encore comment l’indivisibilité de la durée réelle de Dieu ne prouve point que le monde n’ait point commencé. Nous avons aussi dans cette durée idéale ou possible la vraie mesure du temps. D’autres la cherchent en vain dans le mouvement des cieux. D’autres disent plus chimériquement encore, que le temps est un être de raison, une manière de concevoir les choses ; et que sans le mouvement, ou sans la pensée de l’homme, il n’y aurait point de temps. Absurdité grossière : quand tous les esprits créés périraient, quand tous les corps cesseraient de se mouvoir, il y aurait néanmoins une durée successive, fixe, et réglée dans le monde, laquelle correspondrait aux momens de la durée possible connue à Dieu, et selon laquelle il se réglerait pour conserver plus ou moins, tant ou tant d’années, chaque chose. Une étendue qui est en repos n’a pas moins de besoin d’être créée dans tous les momens de sa durée, qu’une étendue qui se meut. La conservation des créatures est toujours une création continuée, soit qu’elles se meuvent soit qu’elles demeurent dans la même situation. C’est dans les idées de Dieu que se trouve la vraie mesure de la quantité absolue des choses, tant à l’égard de l’étendue qu’à l’égard du temps. L’homme n’y connaît rien ; il ne connaît que des grandeurs ou des petitesses relatives. Le même temps lui paraît court, ou lui paraît long, selon qu’il se divertit ou qu’il s’ennuie. Pendant qu’une heure paraît courte à Pierre, elle paraît longue à Jean.

  1. Poiret, Cogitationes rationales de Deo, etc., pag. 680.
  2. Ce terme doit être entendu selon nos manières de concevoir, et selon ce qu’on appelle dans l’école propriété de nature, signum rationis.

ZAHURIS, c’est ainsi qu’on nomme certains hommes en Espagne, qui ont la vue si subtile, à ce qu’on prétend [a], qu’ils voient sous la terre les veines d’eau, les métaux, les trésors et les cadavres. Ils ont les yeux fort rouges. Martin del Rio raconte que lorsqu’il était à Madrid, en 1575, on y voyait un petit garçon de cette espèce de gens. Il est remarquable qu’encore que cet auteur aille fort vite à imputer aux démons les effets extraordinaires, il ne croit pas que les Zahuris découvrent l’eau et les métaux sous la terre par aucun pacte magique ; il croit que les vapeurs leur font connaître cette eau, et qu’ils connaissent les mines par le moyen des herbes qui croissent en ces lieux-là. Quant aux trésors et aux cadavres, il prétend que le diable les leur indique ; attendu qu’ils peuvent marquer quels trésors et quels cadavres ils voient, et qu’ils n’ont cette puissance que les mardis et les vendredis. Il ne raisonne pas bien conséquemment sur ce que l’on conte de

  1. Del Rio, Disquisit. magic., tom. I, lib. I, cap. III, quæst. IV.