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ZABARELLA.

la divinité immatérielle, et se sont arrêtés aux principes matériels. Le ciel visible et matériel est à présent leur grand dieu [1].

Au reste, il ne faut point s’étonner que l’inquisition d’Italie ait permis à Zabarella de suivre Averroës dans la rejection de quelques preuves de l’existence de Dieu. La liberté est assez grande partout à cet égard-là ; et pourvu qu’un docteur avoue que cette existence se peut prouver d’autres moyens, on lui laisse la liberté de critiquer telle ou telle preuve particulière. Il n’y a rien sur quoi les cartésiens soient plus harcelés que sur la démonstration que M. Descartes a donnée de l’existence de Dieu. Il fut obligé de répondre à une infinité d’objections. On voit tous les jours que des gens très-orthodoxes renouvellent cette dispute. M. Wérenfels, professeur à Bâle, a soutenu, par un écrit imprimé, que cet argument de M. Descartes est un pur paralogisme. M. Swicer, professeur à Zurich, lui a répondu. M. Jaquelot, ministre à la Haye, lui a fait aussi une réponse, qui a été insérée dans l’Histoire des Ouvrages des Savans [2]. M. Brillon, docteur de Sorbonne, a vu cette réponse, et n’en a pas été content ; il a publié [3] un mémoire pour montrer que M. Descartes donne un sophisme et non pas une démonstration. Le pire François Lami, religieux bénédictin, a réfuté ce mémoire [4]. M. Jaquelot a répliqué pour le sien [5]. M. l’Herminier, docteur de Sorbonne, vient de publier un livre où non-seulement il rejette les démonstrations de M. Descartes touchant l’existence de Dieu, mais aussi la plupart des autres. « De cinq qui ont été proposées par saint Thomas, et qui sont ordinairement employées par les philosophes et par les théologiens, ce docteur en rejette quatre, et n’en reconnaît qu’une seule qui soit suffisante contre les athées. Car il regarde comme un paralogisme de prouver la divinité par quelqu’une de ces raisons : Que tout ce qui existe ne peut pas être contingent, et qu’il doit y avoir un être qui existe nécessairement de lui-même ; qu’on ne peut point admettre un nombre infini de causes subordonnées entre elles, et qu’il faut absolument reconnaître une première cause de laquelle toutes les autres soient dépendantes ; que la matière ne peut se donner le mouvement d’elle-même, que c’est une nécessité qu’il y ait un premier moteur non corporel, de qui elle l’ait reçu médiatement ou immédiatement ; que se trouvant dans les êtres qui existent divers degrés de perfection, comme de bonté, de beauté, de puissance, etc., il faut qu’il y ait un être souverainement parfait, par rapport auquel on puisse dire qu’ils sont plus ou moins parfaits les uns que les autres, selon qu’ils approchent plus ou moins de sa perfection. Après avoir mis ces quatre démonstrations au rang des sophismes la cinquième, que M. l’Herminier regarde comme une vraie démonstration de l’existence de Dieu, est celle qui se tire de la structure de l’univers, et de la manière dont il subsiste dans un si bel ordre de toutes ses parties, et avec une régularité si constante de leurs mouvemens [6]. » Voilà ce qu’on trouve dans le Journal de Trévoux, à l’extrait du livre de M. l’Herminier [7]. Il y a long-temps qu’un très-fameux scolastique [8] a déclaré que toutes les preuves que la raison peut fournir de l’existence de Dieu ne sont que probables. Ce docteur de Sorbonne ne va pas si loin.

(H) Il y a plus d’équivoques qu’on ne s’imagine dans la controverse de l’éternité du monde. ] Tous les chrétiens [9] demeurent d’accord qu’il

  1. Voyez plusieurs preuves de cela dans l’Apologie des Dominicains, imprimée à Cologne l’an 1699, pag. 79 et suiv. Voyez aussi l’article Spinoza, rem. (X), tom. XIII, pag. 456.
  2. Au mois de mai 1700, pag. 100 et suiv.
  3. Dans le IIe. Journal des Savans, de l’année 1701.
  4. Voyez le Journal de Trévoux, janvier et février 1701, pag. 104 et suivantes, édition de Hollande.
  5. Voyez l’Histoire des ouvrages des Savans, mois de mai 1701, pag. 226 et suiv.
  6. Journal de Trévoux, mai et juin 1701, pag. 317, édit. de Hollande.
  7. Il est intitulé : Summa Theologiæ ad usum Scholæ accommodata.
  8. Gabriel Biel, in Magistrum Sententiarum, distinct. II, quæst. X, art. III.
  9. Exceptez quelques hérétiques qui reconnaissent l’éternité de la matière.