Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T15.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
179
SUR LES LIBELLES DIFFAMATOIRES.

meâ opinione sit, nec pro vanâ prætermissa [1].

Ne penser pas que Catherine de Médicis ait voulu dire qu’une fausse nouvelle crue trois jours peut sauver l’état en toutes rencontres. Ce n’est dans ces sortes de maximes que l’on cherche l’universalité. Une fausse persuasion est quelquefois salutaire, et quelquefois pernicieuse, dites-en autant d’une vraie persuasion. Mais voici une chose d’une vérité plus générale ; c’est qu’il est utile de cacher aux peuples une partie du mal dans la perte des batailles, et dans telles autres disgrâces de conséquence. Cette tromperie n’est point ce qu’on nomme coups d’état, arcana imperii. C’est une démarche ordinaire de la prudence politique, c’est une leçon d’ABC en ce genre-là. Personne ne doit donc blâmer les déguisemens d’une relation qui suit de près les événemens : le bien public exige l’emploi des figures de rhétorique qui exténuent la perte que l’on a faite, et les avantages de l’ennemi. Mais peut-être serait-il à souhaiter que ces relations ne fussent que pour les oreilles, ou que pour le moins on ne les imprimât pas ; car l’impression les éternise, et les fait servir de fondement aux historiens : ce qui répand sur l’histoire un chaos impénétrable d’incertitude qui dérobe aux siècles suivans la connaissance de la vérité : grand contre-poids, selon quelques-uns, au profit et au plaisir que la lecture de ces imprimés quotidiens cause dans le monde. Les esprits les plus chagrins doivent reconnaître que cette lecture répand partout plusieurs instructions utiles et agréables, et qu’elle peut même servir de leçon à des écrivains polis. Mais enfin, dit-on, la sincérité n’y règne point ; ce sont plutôt des plaidoyers que des histoires. Or qu’est-ce qu’un plaidoyer ? un discours où l’on s’étudie à ne montrer que le beau côté de sa cause, et que le mauvais côté de la cause de son adversaire. Si ceux qui parlent ainsi pouvaient fournir un bon moyen de ne pas faire ce qu’ils condamnent, ils seraient les plus inventifs de tous les hommes. Il y a ici du plus et moins ; les lecteurs intelligens ne s’y trompent pas ; ils démêlent bien ceux qui s’approchent le plus de la bonne foi : mais après tout il n’est pas possible de publier dans ces écrits tout ce que l’on sait ; il faut sacrifier quelque chose à l’utilité publique, et quelquefois même à l’utilité domestique ; outre que les ruses étant permises dans la guerre [2], il faut excuser les artifices des nouvellistes ; car le soin qu’ils prennent de contrecarrer les relations de l’ennemi sont une espèce de guerre, et de là vient que leurs écrits ont été comptés parmi les armes de plume [3] par un auteur de politique : Hoc saltem indictum non abeat, quòd ausu temerario quodam, Relationes ordinarias seu Novellas : uti vocantur, Armis Anserinis meis non adjunxerim : nam, ut probè sciam, tales sæpè non in Sibyllarum foliis, sed hominum cerebris nasci, credulosque facilé incertæ famæ auram captare : interim tamen etiam temporis filia comprobat, atque hactenùs comprobavit, harumce sparsiones non semper Orestis somnia et varitales esse atque fuisse. Sparguntur [* 1] enim victoriæ deprimiturque pars adversa. Sic constat, quòd litteris à Pompeio per omnes provincias civitatesque dimissis de prœlio ad Dyrrachium facto elatiùs inflatiùsque multò, quàm res erat gesta, fama percrebuerit, pulsum fugere Cæsarem, penè omnibus copiis amissis : quæ [* 2] fama sanè Pompeianos multis partibus auxerat. Finguntur clades ad vulgum (quia mundus, ut dicitur, vult decipi) dementandum, ut iste faveat huic vel illi parti, etc. Ita post cladem Ivrensem, etc. L’auteur met ici ce que j’ai dit du duc de Mayenne.

Notez que le monde est tellement accoutumé à la gazette, qu’il en regarderait la suppression comme une éclipse. Ce serait une espèce de deuil public. La république des Lettres y perdrait divers ouvrages qui sont le

  1. (*) Jacques Hurault, des Offices d’État, folio 110.
  2. (*) J. Cæs. de Bello civil., lib. III, pag. m. 284.
  1. Titus Livius, lib. XXXVII, p. m. 708.
  2. ... Dolus an virtus quis in hoste requirat ?
    Virgil., Æn., lib. II, vers. 390.

  3. Arma anserina, sive Armatura epistolaris à doctore militari Tacito subministrata, et in Dissertatione Politicâ diductâ à G. C. W. p. 19.