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DISSERTATION

n’en fut autre chose. Quel tort vous ai-je fait, leur dit-il ? J’ai été cause que vous avez eu trois jours de bon temps. Πολλοῦ δ᾽ ἂν ἔτι καὶ Σπαρτιάτας δεῆσαι τὴν Στρατοκλέους ὕϐριν ὑπομεῖναι καὶ βωμολοχίαν, πείσαντος μὲν ἀυτοὺς ἐυαγγέλια θύειν ὡς νενικηκότας· ἐπεὶ δὲ τῆς ἥττης ἀληθῶς ἀπαγγελθείσης᾽, ἠγανάκτουν, ἐρωτῶντος τὸν δῆμον, τί ἠδίκηται, τρεῖς ἡμέρας δι᾽ αὐτὸν ἡδέως γεγονώς. Nullò verò pacto arbitror Spartanos toleraturos fuisse Stratoclis scurrilem insultationem, qui suis ut ob lætum partæ victoriæ nuncium acceptum sacrificarent persuasit : cùmque ii de acceptâ clade vero allato nuncie succenserent, populum interrogavit ecquid injuriæ passi essent, qui ipsius opera triduum suaviùs vixissent [1]. Ce fut autant de pris sur l’ennemi, dira-t-on ; les Athéniens gagnèrent deux ou trois jours de réjouissance : ils reculèrent d’autant le chagrin que la mauvaise nouvelle devait causer. Mais dans le fond c’est un petit avantage : il est très-fâcheux de revenir d’une fausse persuasion qui a donné une grande joie : on sent mieux après cela le poids de l’adversité. D’ailleurs les réjouissances publiques pour une victoire imaginaire font mépriser toute une nation, et apprêtent bien à rire à ses ennemis. Si l’on eût traité Stratoclès selon son mérite, on l’eût puni sévèrement. Qu’un particulier en use comme faisait Cicéron, cela n’est pas de conséquences : il est même vrai que dans ces rencontres particulières la véritable prudence veut qu’on ne croie rien légèrement. Cicero… cum Vatinii morte nunciatâ cujus parùm certus dicebatur autor, interim, inquit, usurâ fruar [2]. Il n’est pas certain que mon ennemi soit mort, et peut-être dans peu de jours on apprendra qu’il est plein de vie ; mais en attendant je profiterai du bruit qui court je le croirai, c’est autant de gain pour moi. Voilà quel fut le langage de Cicéron. Que ce fût une simple plaisanterie, ou une déclaration ingénue de ses pensées, la chose n’importait pas ; mais un état qui en userait de la sorte, et qui prendrait des mesures sur une fausse nouvelle de la défaite des ennemis, s’exposerait quelquefois à de grands malheurs. Un historien conte que le bruit ayant couru que Scipion l’Africain et son frère étaient prisonniers, et qu’Antiochus avait défait l’armée romaine qu’ils commandaient, les Étoliens secouèrent tout aussitôt le joug du peuple romain. Cette démarche ne pouvait être que pernicieuse. Je rapporterai les paroles de Tite Live, car elles contiennent quelques singularités. On y trouve un bel exemple des fourberies de la Renommée : on y voit qu’une fausseté si énorme avait pour auteurs les députés mêmes des Étoliens à l’armée des Scipions, et qu’il n’y a qu’un historien qui ait parlé de cela : Valerius Antias author est, rumorem celebrem Romæ fuisse, et penè pro certe habitum, recipiendi Scipionis, adolescentis causâ Cos. L. Scipionem et cum eo P. Africanum in colloquium evocatos regis, et ipsos comprehensos esse, et ducibus captis confestim ad castra romana exercitum ductum, eâque expugnatâ, et deletas omnes copias Romanorum esse : hæc Ætolos sustulisse animos, et abnuisse imperata facere, principesque eorum in Macedoniam, et in Dardanos, et in Thraciam, ad conducenda mercede auxilia profectos : hæc qui nuntiarent Romam, A. Terentium Varronem, et M. Claudium Lepidum ab A. Cornelio proprætore ex Ætoliâ missos esse. Subtexit deinde fabulæ huic, legatos Ætolos in senatu inter cætera hoc quoque interrogatos esse : undè audissent imperatores romanos in Asiâ captos ab Antiocho rege, et exercitum deletum esse ? Ætolos respondisse, ab suis legatis se, qui cum consule fuerint, certiores factos. Rumoris hujus quia neminem alium authorem habeo, neque affirmata res

  1. Plut., de Rep. gerendâ, pag. 799, F. Il en parle aussi dans la Vie de Demétrius, pag. 893, 894, et il lui fait répondre, Εἶτα τί πεπόνθατε δεινὸν, εἰ δύο ἡμέρας ἡδέως γεγόνατε ? Quid tandem injuriæ accepistis si duos dies transegistis per lætitiam ? Cette bataille perdue est celle d’Amorgos. M. de Tourreil a très bien paraphrasé ces paroles de Plutarque : Pourquoi vous plaindre de moi ? répond Stratoclès ; me ferez-vous un crime d’avoir, en dépit de la fortune, sur deux jours entiers vous donner les plaisirs de la victoire, et par son artifice dérober tout ce temps à votre douleur ? C’est dans ses notes sur la IIe. Olynthienne de Démosthène, l’une des Harangues qu’il a traduites en français le plus noblement possible.
  2. Quintil., Institut. Orat., lib. VI, cap. II, pag. m. 294.