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SUR LES LIBELLES DIFFAMATOIRES.

Nec tantùm nocuit cuiquam vis sæva cicutæ,
Quantùm famosi stigmata nigra libri.
His et mille modis essent hæc sapè notanda,
Ast iter immodicum nostra Thaleia fugit.

Érasme a déclamé fortement contre les abus de l’imprimerie, et a réfuté les excuses ridicules des imprimeurs, qui alléguaient qu’ils mourraient de faim s’ils ne publiaient des libelles. Dicet hic aliquis : Heus divinator, quid hæc ad typographos ? Quia nonnullam mali partem invehit horum impunita licentia. Implent mundum libellis, non jam dicam nugalibus, quales ego forsitan scribo, sed ineptis, indoctis, malediciis, famosis, rabiosis, impiis, ac seditiosis : et horum turba facit, ut frugiferis etiam libellis suus pereat fructus. Provolant quidam absque titulis, aut titulis (quod est sceleratius) fictis. Deprehensi respondent : Detur undè alam familiam, desinam tales libellos excudere. Aliquanto meliore fronte respondeat fur, impostor, aut leno : Da quî vivum et desinam his artibus uti, nisi fortè levius crimen est, clàm minuere rem alienam, quàm palàm eripere famam alienam : aut sine vi ad quæstum abuti tuo alienove corpore, quàm vitam alterius ac famam vitâ quoque chariorem impetere [a]. Au reste, il semble que dans le poëme qui est à la fin d’un livre de du Verdier Vau-Privas, on fasse beaucoup plus d’honneur qu’ils n’en méritent aux écrivains satiriques, lorsqu’on les accuse d’être la cause des guerres et des séditions. Il est certain que fort souvent ils se proposent ce but, et qu’ils ont une extrême joie de s’imaginer que leurs libelles ont produit ce grand effet. Ils s’en flattent lors même qu’ils n’ont aucune raison de le faire, et ils sont ravis qu’on leur fasse de tels reproches. Peut-on établir quelque fait certain sur ce sujet ? Je ne pense pas qu’on puisse y poser aucune règle générale. Il y a des temps où les libelles diffamatoires ne remuent point les peuples, et où ceux qui les publient sont frustrés de leur attente. Mais dans d’autres temps ce sont de vrais boute-feux, et des cornets effectifs de sédition. D’ailleurs il faut regarder la différence des partis et des intérêts ; car selon cela les suites de ces libelles sont très-différentes, et même contraires les unes aux autres. Ils réunissent quelquefois ceux qu’on voulait diviser, et ils divisent ceux qu’on voulait réunir. Ce qu’il y a de certain, c’est que la langue et la plume d’un seul homme sont quelquefois plus utiles à une cause qu’une armée de quarante mille soldats. François Ier. avouait que l’évêque de Sion lui avait fait plus de mal par ses paroles, que toute la Suisse par ses armes. Maximè verò ei gloriosum fuit Francisci regis judicium, quum asseveraret, me audiente, aliquanto plus sibi sumptus atque periculi Sedunensis facundiæ indomitam vim, quàm tot legionum ejus gentis cuspides attulisse [b].

  1. Erasmus, in explicatione proverbii Festina lentè. C’est le premier de la première centurie de la deuxième chiliade. Conférez ce qui est dit dans l’article Érasme, tom. VI, pag. 239, rem. (X).
  2. Paulus Jovius, Elog. Virorum bellicâ virtute insign., lib. V, pag. m. 389.