Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T15.djvu/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
10
ZABARELLA.

de Bérigardus. Cet examen m’a fait voir qu’elles ne vont point au but, et que l’état de la question n’est pas tel que je m’étais figuré. Je les donne néanmoins sans nul changement : elles pourront être un sujet à réflexion, et en tous cas elles seront un témoignage de mon ingénuité, et feront connaître que je n’use point d’artifice. Il y a bien des auteurs qui, dans de pareilles rencontres, corrigeraient leur manuscrit, et ne laisseraient pas de dire : Voilà ce que nous avions conjecturé avant que de voir l’ouvrage ; nous avons trouvé depuis, en le lisant, que nos conjectures étaient conformes au livre même. Je veux agir de meilleure foi, je veux qu’on sache la différence qu’il y a entre ce que je jugeais de l’écrit de Zabarella avant que de l’avoir lu, et ce que j’en dois dire après l’avoir lu. Voici une petite analyse de ce traité-là.

Il est intitulé de Inventione æterni Motoris, et ne contient que huit pages et demie dans mon édition [1]. La première thèse de l’auteur est celle-ci : On ne saurait découvrir que par le moyen du mouvement qu’il y ait une substance immatérielle ; mais il proteste qu’il se borne aux connaissances que l’on peut avoir naturellement, et qu’il excepte la révélation. Hâc præmissâ protestatione, non hâc de re secundùm principia philosophiæ Arist. esse loquuturos, et illam tantùm substantiarum à materiâ abjunctarum notitiam, quam viâ naturali adipiscimur, consideraturos, omissâ penitùs earundem cognitione, quam revelatione divinâ et lumine supernaturali accepimus ; verissimam illam quidem, sed Arist. cujus dicta interpretanda suscepimus, prorsùs absconditam [2]. Il embrasse la doctrine d’Averroës, qui a rejeté les autres preuves qu’Avicenne prétendait trouver dans les livres d’Aristote ; celles-ci, par exemple. Il y a un être dépendant d’un autre, donc il y a un premier être qui ne dépend de quoi que ce soit ; car autrement il faudrait admettre le progrès à l’infini. Or ce premier être est Dieu, donc, etc. Il y a une perfection et une bonté plus grande qu’une autre, donc il y a une perfection et une bonté souveraine. Or l’être qui a cette perfection et cette bonté est Dieu : il y a donc un Dieu. Averroës répond que tout cela prouve seulement l’existence d’une nature indépendante des autres, et plus parfaite que les autres ; mais non pas son immatérialité. Il ajoute que les anciens philosophes, qui n’admettaient que corps, diraient que cette nature indépendante et très-parfaite n’est autre chose que le ciel [3]. Zabarella conclut que pour parvenir naturellement à la notion d’une substance immatérielle, il faut raisonner ainsi : Le ciel a un mouvement qui ne cesse pas, tout ce qui se meut est mû par un autre, tout ce qui est corporel est mobile, et il n’y a point de progrès à l’infini entre les moteurs et les choses mues ; il y a donc un premier moteur qui est séparé des corps.

Il recherche ensuite si le mouvement, quel qu’il soit, fournit une preuve de l’existence d’un tel moteur, et il se range à la négative ; car il conclut qu’il n’y a que l’éternité du mouvement qui puisse prouver l’existence d’un moteur séparé de la matière. Il examine l’opinion de ceux qui prétendent qu’Aristote a soutenu [4] que même le mouvement qui a commencé nous peut conduire à la connaissance d’un premier moteur spirituel. Ce philosophe, disent-ils, a raisonné de cette manière : Tout ce qui se meut est mû par un autre, et il n’y a point de progrès à l’infini ; il y a donc un premier moteur qui est immobile, et par conséquent incorporel ; car s’il était un corps, il faudrait de toute nécessité qu’il fût mobile. Zabarella répond que cet argument d’Aristote ne peut nous mener qu’à l’existence d’un moteur qui n’est immobile que dans un sens général, où l’on peut trouver renfermées les âmes des bêtes. Ces âmes-là, continue-t-il, sont

  1. C’est celle de Francfort, sumptibus hæredum Lazari Zetzneri, 1518, in-4°.
  2. Jacobus Zabarella, de Rebus naturalibus, pag. m. 253.
  3. Quare illi philosophi, quorum mentionem facit Plato in Sophistâ, qui præter res corporeas et sensiles nil aliud existere concedebant, dicerent illud summum et optimum, et perfectissimum, non esse nisi cælum, nec ullum præter illud dari alium Deum. Idem, ibid., pag. 254.
  4. In VIII lib. Physic. auscultationis.