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SUR LES LIBELLES DIFFAMATOIRES.

d’Aubigné qui parle, que le roi de Navarre et la reine-mère étant [a] à la fenêtre, dans une chambre assez basse, écoutaient deux goujats qui, en faisant rôtir une oie dans une broche de bois, chantaient des vilenies contre la reine : l’un disait que le cardinal l’avait engrossée d’un petit gorret, l’autre disait d’un petit mulet ; et puis ils maugréaient de la chienne, tant elle leur faisait de maux. Le roi de Navarre prenait congé de la reine pour les aller faire pendre ; mais elle, après avoir dit par la fenêtre : Hé ! que vous a-t-elle fait ? elle est cause que vous rôtissez l’oie ; se tourne vers le roi de Navarre en riant, et lui dit : Mon cousin, il ne faut pas que nos colères descendent là, ce n’est pas notre gibier. Soit dit sur ce qu’elle avait rien de bas.

François Ier. est l’un des exemples que Balzac allègue. J’y trouve une chose à redire, c’est que ce monarque abandonna ses ministres et ses courtisans à la médisance du théâtre, en même temps qu’il souffrait qu’on n’épargnât pas ses défauts. C’était imiter une conduite dont l’ancienne Grèce et l’ancienne Rome ne se trouvèrent pas bien ; c’était introduire une mauvaise coutume : et si c’est un acte de magnanimité à un prince de mépriser les satires qui le touchent personnellement, et de n’en point punir les auteurs, c’est un oubli trop visible de son devoir, que de souffrir que ses sujets soient exposés aux insultes d’une plume satirique. Il peut relâcher de son droit ; mais l’honneur de ses sujets lui doit paraître inviolable. Notez que François Ier. ne souffrait pas que les comédiens nommassent les gens. Accepimus tacitè, libenterque etiam ferre solitum, se præcipuosque regni sui proceres, quorum ipse operâ consiliisque utebatur, in fabulis et comœdiis publicis rodi et configi maledictis ; tectè id quidem et involutè, sed tamen ut ab omnibus perspiceretur [b].

XIV. Les Romains plus jaloux de leur honneur que de celui de leurs dieux.

Les Romains ne permirent pas aux poëtes comiques d’exercer leur médisance sur les magistrats ; mais ils leur laissèrent une entière liberté de se jouer de leurs dieux. C’est de quoi saint Augustin leur a fait de grands reproches. At Romani : dit-il [c], sicut in illâ de [d]republicâ disputatione gloriatur Scipio, probris et injuriis poëtarum subjectam vitam famamque habere noluerunt, capite etiam punire sancientes tale carmen condere si quis auderet. Quod erga se quidem satis honestè constituerunt, sed erga Deos suos superbè et irreligiosè. Quos cùm scirent non solùm patienter, sed etiam libenter poëtarum probris maledictisque lacerari, se potiùs quàm illos hujuscemodi injuriis indignos esse duxerunt, seque ab eis etiam lege munierunt, illorum autem ista etiam sacris solennitatibus miscuerunt. Itane tandem Scipio

  1. Pendant le pourparler de la paix faite à Talsi l’an 1562.
  2. Balsacius, epist. ad Cospeanum, pag. m. 254.
  3. August, de Civit. Dei, lib II, cap. XII.
  4. Voyez le ch. IX du même livre de Civitate Dei.