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SUR LES LIBELLES DIFFAMATOIRES.

du sénat, qui ne condamnait qu’au bannissement et à la confiscation des biens le prêteur Antistius, convaincu d’avoir publié des satires contre l’empereur [a] ; mais il déclara à la compagnie qu’il lui permettait d’absoudre à pur et à plein Antistius. Se qui severitatem decernentium impediturus fuerit, moderationem non prohibere. Statuerent ut vellent, data etiam absolvendi licentiam [b]. Le sénat s’en tint à sa première résolution. Presque en même temps Fabritius Vejento, auteur de quantité de libelles contre les sénateurs, et contre le clergé de Rome [c], ayant été jugé par Néron même, ne fut que banni d’Italie. Ses livres furent condamnés au feu : on les rechercha depuis, et on les lut avec la dernière avidité, pendant qu’il y eut du péril à le faire ; mais dès qu’il fut permis de les avoir, on ne s’en soucia plus. Convictum Vejentonen Italiâ depulit, et libros exuri jussit, conquisitos lectitatosque donec cum periculo parabantur ; mox licentia habendi oblivionem attulit [d]. Suétone remarque comme un fait très-singulier, que Néron fut si peu mal endurant pour la médisance, qu’il ne témoigna à personne plus de débonnaireté qu’à ceux qui exerçaient sur lui leur génie satirique. On fit courir et l’on afficha des vers sanglans contre sa personne ; il ne s’en émut point, il n’en fit point rechercher les auteurs ; et quelques-uns d’eux ayant été déférés au sénat, il empêcha qu’ils ne fussent châtiés rigoureusement. Mirum et vel præcipuè notabile inter hæc fuit, nihil eum patientiùs quàm maledicta et convicia hominum tulisse, neque in ullos leniorem, quàm qui se dictis aut carminibus lacessissent, extitisse... Vel contemptu omnis infamiæ, vel ne fatendo dolorem irritaret ingenia [e]. Pour avoir été atteint de la raillerie mordante d’un cynique, en pleine rue, et pour avoir été joué sur le théâtre, il se contenta de bannir de l’Italie le philosophe et le comédien. Suétone ne sait s’il y avait là plus d’indolence que de politique ; car en témoignant son chagrin, Néron avait lieu de craindre qu’il n’encourageât les médisans ; et personne n’ignore la sentence que Tacite a débitée dans le chapitre XXXIV du IVe. livre des Annales, à l’occasion d’un doute semblable à celui de Suétone : une injure, dit-il, qu’on méprise tombe d’elle-même ; si l’on s’en fâche, on la fait valoir. Carmina Bibaculi et Catulli referta contumeliis Cæsarum leguntur : sed ipse divus Julius, ipse divus Augustus, et tulêre ista et reliquêre, haud facilè dixerim, moderatione magis an sapientiâ : namque spreta exolescunt : si irascâre, adgnita videntur.

VI. Il est très-important de réprimer la licence des libelles. Les anciens païens la réprimèrent.

Voilà qui est bien, s’il ne s’agit que de pardonner les mé-

  1. Probrosa adversùs principem carmina factitavit vulgavitque celebri convivio...... Exin.... majestatis delatus est. Tacit., Ann., lib. XIV, cap. XLVIII.
  2. Tacit., ibid., cap. XL.
  3. Quod multa et probrosa in Patres et sacerdotes composuisset, iis libris quibus nomen codicillorum dederat. Ibid. cap. L.
  4. Idem, ibid.
  5. Suetone, in Nerone, cap. XXXIX.