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DISSERTATION

Labiénus ? Se pourra-t-on bien imaginer que ce fut parce que ces deux auteurs avaient publié leurs livres sous le nom d’autrui ? Quelles rêveries !

III. Vains efforts pour justifier Suétone.

Torrentius a voulu sauver honneur de Suétone, en substituant sans l’autorité d’aucun manuscrit ces mots, suo alienove nomine, à ceux-ci, sub alieno nomine. Mais je remarque que sa correction a été abandonnée avec le dernier mépris : jusque-là que le commentateur de Suétone in usum delphini a cru qu’elle ne faisait point une nouvelle signification, tant il l’avait peu examinée. D’autres veulent que par sub alieno nomine, etc., il faille entendre les satires où le nom des personnes qu’on déchirait ne paraissait pas. Mais je ne vois guère débiter cela que par forme de pis aller. Après tout, nonobstant ces expédiens, Suétone ne mettrait il pas à couvert de toutes peines les satires les plus diffamantes, pourvu qu’elles fussent anonymes, ou qu’on n’y fût pas déchiré sous un nom de guerre, mais sous son nom véritable ? Et ne serait-ce pas un assez honteux reproche à faire au conseil de l’empereur ? Enfin, il y en a qui soutiennent que, comme les lois des douze tables avaient suffisamment défendu que l’on ne fît point de satires sous son nom, Auguste ne se crut obligé qu’à attaquer celles qu’on publierait sous le nom d’autrui. Mais, 1°. nous ne voyons pas que les lois des douze tables s’adressent plus ou moins aux satires anonymes, qu’à celles où l’on aurait mis son vrai nom, ou un faux nom. 2°. Il aurait été fort inutile de ne défendre que celles où l’on se serait nommé : et quelle apparence que ces anciennes lois de Rome aient laissé un chemin si large à quiconque aurait voulu les éluder ? 3°. A-t-on de coutume, en faisant quelque addition à une loi, de ne pas renouveler et confirmer les anciens ordres ? 4°. Qui comprendra jamais que si l’ancien droit romain avait accordé l’impunité aux satires les plus punissables, c’est-à-dire à celles où l’on ne met point son nom, desquelles les coups sont et plus fréquens et plus hardis, Auguste, en suppléant ce qui eût manqué aux vieilles lois, eût oublié précisément le remède le plus nécessaire ; savoir la punition des libelles anonymes ? Il y a bien plus d’apparence que ce fut lui qui fit faire la loi ou le sénatus-consulte dont Ulpien nous a conservé les paroles : Si quis librum ad infamiam alicujus pertinentem scripsit, composuit, edidit, dolove malo fecit quo quid eorum fieret, etiamsi alterius nomine ediderit ; vel sine nomine ; uti de eâ re agere liceat ; et si condemnatus sit, qui id fecit, intestabilis ex lege esse jubetur [a].

J’avoue que les historiens modernes sont trop prolixes, et qu’il y en a qui composent plus de volumes sur leur siècle, que Tite-Live n’en a composé sur toute la durée de Rome conquérante, depuis sa

  1. Baudouin, qui rapporte ces paroles de la loi, la croit faite ou sous Auguste, ou sous Tibère. Voyez son Traité in Leges XII Tabular., cap. IX, pag. m. 49 et 50.