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DISSERTATION

à Édimbourg en 1579 ; mais qu’il croit que le libraire a supposé cette ville. Je ne trouve point ce passage dans mon édition de Barclai, qui est celle de Hanau, en 1617, où il n’y a pas même de préface ; mais je l’ai trouvé depuis peu dans l’édition de Paris 1600, in-4°., qui contient une préface de quatre pages. Outre ce que dit ici Boéclérus de quelques pages de l’original, vues à Lausanne, Deckher, page 90, assure avoir ouï dire, en 1667, qu’on avait trouvé tout l’original dans la même ville. Je ne sais pourquoi M. Voët a conjecturé que la première édition de ce livre est de l’an 1587. Je lui avoue que les Catalogues de Draudius ne font rien contre sa conjecture, encore qu’ils marquent que le Junius Brutus a été imprimé à Édimbourg l’an 1580 ; car comme ils ont été poussés jusqu’en 1610 dans l’édition citée par M. Voët [1], on a pu y marquer de la sorte Junius Brutus, soit qu’il ait été imprimé pour la première fois en 1587, avec l’antidate de 1580, soit que la première édition soit de l’an 1580, sans nulle antidate. Mais que dira-t-il contre l’Épitome de la Bibliothéque de Gesner, imprimé l’an 1583, où se trouve Junius Brutus comme imprimé in-8°. à Édimbourg, en 1580 [2] : dira-t-il de la Bibliothéque française de du Verdier, imprimée l’an 1585, où [3] se trouve la traduction française du même livre, comme imprimée in-8°., par François Étienne, l’an 1581 ? Ce sont des preuves convaincantes que si la première édition n’est pas de l’an 1579, comme le titre le porte, elle a du moins précédé de quelques années l’an 1587.

(C) Peut-être ne sont-ils pas cause que les méchans petits livres satiriques tombent moins dru qu’auparavant. ] C’est bien fait de parler de cela par un peut-être, car il y a bien plus d’apparence que deux autres choses sont cause de la diminution : premièrement, l’indignation que les honnêtes gens avaient déjà témoignée ; en second lieu, un commencement de lassitude dans les lecteurs, qui ne manque jamais d’arriver lorsqu’ils sont trop souvent servis d’un même ragoût, et lorsque parmi la multitude de ceux qui se mêlent de l’apprêter, il s’en trouve beaucoup qui le font fort fade et fort insipide. C’est une maxime que les auteurs doivent consulter soigneusement, qu’il ne faut jamais abuser de l’avidité du public ; qu’il faut éviter la satiété jusques dans l’admiration, et pour cela ne pas déférer avec excès à ce compliment des académies d’Italie, Di grazia, Signor, un’ altra volta. Ce compliment est sans doute un témoignage d’approbation, et tout le monde s’en sert pour un musicien qui a charmé plus qu’à l’ordinaire, et alors on n’est pas fâché d’être pris au mot ; mais qui voudrait abuser de la courtoisie jusques à passer la règle des grecs, δὶς καὶ τρὶς τὸ καλὸν, bis et ter quod pulchrum, et même ce qu’a dit un poëte latin [4], qu’il y a tel poëme qui plaît jusqu’à la Xe. répétition, decies repetita placebit, mériterait d’être renvoyé au vieux proverbe du chou recuit, δὶς κράμϐη θἁνατος, crambe bis positâ mors. Il n’est pas juste que le public soit exposé au traitement déplorable de ces régens de rhétorique d’autrefois, qui étaient contraints d’entendre en plusieurs manières les déclamations de toute leur classe sur le renversement des trônes.

Declamare doces, ô ferrea pectora Vetti !
Cùm perimit sævos classis numerosa tyrannos
Nam quæcunque sedens modò legerat, hæc eadem stans
Perferet : atque eadem cantabit versibus iisdem.
OCCIDIT MISEROS CRAMBE REPETITA MAGISTROS [5].

La condition des régens n’est pas meilleure aujourd’hui. Il dictent un thème à toute une classe, pour le revoir ensuite tourné en plusieurs

  1. Selon M. Voët, Dandrius, pag. 913, marque Stephani Junii Vindiciæ contra Tyrannos, etc., Edembergæ 80 et 81, latinè et gall. L’édition de Drandius dont je me sers est de 1625 : elle fait mention quatre fois de ce livre, savoir pag. 809, où l’édition d’Édimbourg, 1579, et celle de Strasbourg, in-12, sont marquées ; pag. 1235, où l’édition d’Amsterdam 1611 est marquée ; pag. 1275, où l’édition de Strasbourg est encore mise ; et pag. 84 des Livres Français, où se voit le titre de la traduction, comme dans du Verdier.
  2. Pag. 766, et par-là il paraît que M. Voët n’a pas dû se prévaloir de ce que du Verdier, dans le Supplément de cet Épitome, n’a point parlé de Junius Brutus, puisque ce Supplément ne touche que les émissions de l’Épitome.
  3. Pag. 300.
  4. Horat., de Arte Poëticâ.
  5. Juven., satir. VII, vs. 150.