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SUR LE LIVRE DE JUNIUS BRUTUS.

tation anonyme ; qu’il inséra quatre ans après au quatrième volume de ses thèses, et il fit voir là-dedans, par plusieurs raisons, que Théodore de Bèze n’était point Junius Brutus, et s’étendit fort au long sur Hubert Languet.

X. Bèze accusé avant le temps que Placcius marque.

M. Placcius l’a relevé sur l’une des preuves justificatives de Bèze ; car M. Voët ayant dit qu’avant l’an 1660 personne, ni entre les amis ou les ennemis de Bèze et de Languet, ni entre ceux qui ont procuré les éditions de Junius Brutus, n’avait imputé ce livre à Bèze, soit expressément soit par soupçon, et qu’ainsi la nouvelle conjecture d’un quidam jetée en l’air [a] ne devait être de nulle force, M. Placcius lui montre que l’an 1652 un Anglais, nommé Jean Philippe, auteur d’une réponse à une apologie pour le roi et le peuple d’Angleterre, assura que Bèze avait composé l’ouvrage de Junius Brutus.

On pouvait reprendre la chose de plus loin, puisqu’il y avait long-temps que ce Jean Philippe avait été devancé par des jésuites français ; de sorte que M. Voët s’abuse, lorsqu’il se prévaut du silence, non-seulement de Bécan, de Gretser, et d’Eudæmon Johannes, mais aussi de toute la société des jésuites, totaque jesuitarum natio ; car on voit qu’en 1611 le père Coton [b] ayant recueilli divers passages d’auteurs protestans, qu’il crut donner lieu à la récrimination, et n’ayant pas oublié Junius Brutus, mit en marge Theodorus Beza, sive Stephanus Junius Brutus, in libro cui titulus, Vindiciæ contra Tyrannos, etc. Le jésuite Richeome [c], récriminant tout de même, dans la même vue, et dans la même occasion, s’adressa ainsi à son adversaire : Comment excuseras-tu Beze, qui, caché sous l’équivoque du nom de Junius Brutus, comme toy sous celui d’Anti-Coton accompagné de trois lettres, fait un livre de la puissance legitime du prince, etc. Un ministre de Gergeau, nommé David Home, répondant en 1612 à l’Apologie des jesuites, faite par un père de la compagnie de Jesus de Loyola, nia ce que l’auteur de l’Apologie avait assuré que Théodore de Bèze avait pris le masque de Junius Brutus. Le livre de David Home est intitulé : du Contr’Assassin. On y lit ces paroles à la page 329 : Quant à ce Stephanus Junius Brutus qu’il produit après, nous ne savons qui il est : bien disons nous que le jesuite en affirmant que c’est Theodore de Beze, sans apporter la moindre petite conjecture du monde de son dire, ment jesuitiquement, c’est-à-dire effrontément, et en machiavelliste, qui tient que quand un mensonge ne courroit qu’une demi-heure, il profite tousjours en matiere d’estat, combien que

  1. La phrase grecque qu’il emploie est peut-être plus énergique : ἀεροϐατοῦντι ςοχασμῷ τοῦ δεῖνα.
  2. Réponse Apologélique à l’Anti-Coton et à ceux de sa suite, pag. 173.
  3. À la page 471 de l’Examen catégorique du libelle Anti-Coton, imprimé en 1613. Il met en marge : Junius Brutus de Bèze de legitimâ Potestate, etc.