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SUR LE LIVRE DE JUNIUS BRUTUS.

rer que le prénom Stephanus avait paru dans les éditions précédentes, et dans la première même, qui est celle qu’on suppose avoir été faite à Édimbourg l’an 1579. La version française, imprimée l’an 1581, in-8°., porte aussi le nom d’Étienne Junius Brutus. En second lieu, pourquoi veut-on que l’auteur ait eu plus d’égard au Brutus qui délivra Rome de la tyrannie de Tarquin qu’au Brutus qui la délivra de la tyrannie de César ? S’il n’a point dû les préférer l’un à l’autre, il n’a point dû se nommer Lucius plutôt que Marcus ; il a donc pu se donner le prénom d’Étienne aussi légitimement que tout autre. Qu’on ne dise pas que la manière dont Marcus Brutus s’éleva contre le tyran n’est pas aussi conforme que celle de l’autre Brutus aux principes de l’auteur ; qu’on n’ajoute pas pour le prouver, qu’il veut bien que les personnes qui ont quelque charge, comme Lucius Junius Brutus avait celle de tribun des célères, excitent le peuple à prendre les armes, mais qu’il ne donne point ce droit aux simples particuliers, et moins encore celui d’assassiner le tyran, hormis le cas d’une inspiration d’en haut ; en quoi même il veut qu’on s’examine bien exactement. Qu’on ne se serve point, dis-je, de ces raisons ; car il a déclaré nettement [a] que Brutus et Cassius sont dans le cas de ces meurtriers de tyran, auxquels les lois promettent des récompenses et font dresser des statues. Il a mis César au nombre des usurpateurs, contre lesquels il est permis au premier venu de conspirer. Ainsi la critique de M. Deckher est fausse, et ne vaut guère mieux que la mauvaise et fade plaisanterie de certaines gens, à qui l’on a ouï dire qu’Hubert Languet se masqua entre autres noms sous celui d’Étienne, non pas par rapport à cet Étienne qui assassina l’empereur Domitien, et à qui Apollonius de Tyane cria de plus de trois cents lieues loin, Courage ! frappe le scélérat [b] ; mais par rapport à saint Étienne, le premier martyr de l’Évangile, et la première victime : de la patience chrétienne.

II. Erreur de Barclai.

Mais la critique de cet avocat est néanmoins plus supportable que la raison employée par Guillaume Barclai [c] pour prouver que l’ouvrage de Stéphanus Junius Brutus est pseudonyme, et que l’auteur n’a choisi le nom de Brutus qu’afin de se mettre en campagne avec plus de distinction, sur le pied de libérateur des peuples ; c’est, dit-il, qu’il n’est point vraisemblable que la postérité de celui qui chassa Tarquin ait été continuée jusques à notre siècle, puisqu’un des meilleurs historiens assure [* 1], qu’il mourut le dernier de sa famille à la guerre contre ceux de Véies. Sans mentir c’est se tourmenter bien inutilement ; car il ne serait jamais venu dans l’esprit d’aucun lecteur que cet écrivain pourrait bien être descendu en droite ligne de ce Junius Brutus qui abolit l’état

  1. (*) Dionys. Halicarn., lib. V.
  1. Voyez sa question III, pag. 198. 211.
  2. Xiphilin., in Domit., sub fin.
  3. Lib. III, contra Monarchomachos, cap. I, pag. m. 311. Vide etiam p. 189.