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ZUYLICHEM.

car pour ceux qui vivent aujourd’hui dans la Hollande, ils n’ont pas besoin de cette instruction. Ils ne doutent point que M. Jurieu n’ait prêché la haine de son prochain au sens qu’on l’a dénoncée. La suppression des sermons parle clairement là-dessus ; et ceux d’entre les auditeurs qui peuvent parler sans craindre les suites disent assez franchement la vérité quand l’occasion s’en présente. Il est vrai que ce ne sont que des discours de conversation, et non pas des certificats publics. On disait un jour en présence d’un magistrat qui avait ouï les sermons, que M. Jurieu niait toute la Dénonciation. Quoi, dit le magistrat, il nie qu’il ait prêché qu’on satisfait un précepte, pourvu qu’on souhaite les biens spirituels aux persécuteurs ? « Oui, lui dit-on ; c’est un des points qu’il désavoue le plus hautement. » Le magistrat haussa les épaules, et protesta qu’il se souvenait distinctement d’avoir ouï ce nouveau dogme. J’étais présent à cette conversation.

ZUYLICHEM (Constantin Huygens, seigneur de), secrétaire et conseiller des princes d’Orange, et l’un des beaux esprits et des bons poëtes (A) du XVIIe. siècle, naquit à la Haye, le 4 de septembre 1596. Il était le second fils de Christien Huygens (B), secrétaire du conseil d’état de la république des Provinces-Unies, et il entra sous le prince Frideric Henri dans l’emploi dont j’ai parlé. Il continua de l’exercer sous ses successeurs, jusques à ce qu’il l’eût résigné à son aîné[a]. On l’envoya à la cour de France, l’an 1661, pour solliciter la restitution d’Orange, dont le roi Louis XIV s’était mis en possession. Ayant obtenu enfin, en 1665, ce qu’il demandait, il fit un voyage à Orange pour faire remettre cette principauté entre les mains de son légitime maître. Cela fut fait avec beaucoup de solennité[b]. Il parvint à une extrême vieillesse, avec le bonheur de ne point perdre ni la solidité, ni même la vivacité de son esprit, et de voir sa famille bien établie, et l’agrément des services qu’il avait rendus pendant soixante-deux années à la maison d’Orange. Il avait entretenu un grand commerce de lettres avec les savans les plus illustres (C), et comme il aimait et qu’il entendait tous les beaux-arts, il s’était plu à favoriser ceux qui en faisaient profession. Il mourut l’an 1687, à l’âge de quatre-vingt-dix ans et six mois. Il était président du conseil du prince d’Orange : M. Huygens, l’un des premiers mathématiciens de l’Europe ; était l’un de ses trois fils (D).

  1. Voyez la remarque (D).
  2. Voyez la relation que M. de Chambrun, ministre d’Orange, en publia l’an 1666.

(A) Et des bons poëtes. ] On a de lui une infinité de vers flamands : il a publié aussi des poésies latines sous le titre de Momenta desultoria.

(B) Il était le second fils de Christien Huygens. ] Ce Christien était fils de Corneille Huygens, gentilhomme de Brabant, et de Gertrude Back [1]. Il fut le premier de sa famille qui s’établit en Hollande. Il prit alliance [2] dans une famille très-considérable d’Anvers ; car il épousa Susanne Hoefnagle, fille de Jacques Hoefnagle et d’Élisabeth Veseler[3] Ce Jacques Hoefnagle était si riche, qu’il donna trois cent mille francs pour se racheter de la garnison espagnole quand elle se mutina dans Anvers l’an 1576. Cette grosse rançon le mit à couvert de la fureur du soldat lui et sa famille, et la belle mai-

  1. Qui était fille de Christien Back, et de Lucie Back de Weelden, de la même tige que ceux d’Asten.
  2. Étant âgé de vingt-six ans.
  3. Fille aînée de George Veseler intendant-général des monnaies du roi d’Espagne.