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ZUÉRIUS.

couronne de ses propres mains, et qui étale ses prouesses ; celles-ci pour ses ennemis. Je laisse là pareillement un écrit qui fut opposé aux Réflexions de ce ministre, non pas eu égard à la dénonciation, mais eu égard à ses querelles avec M. de Beauval. Cela et l’Apologie de M. Jurieu [1], et la réplique de M. de Beauval, sont des incidens tout-à-fait externes à la dénonciation, et par conséquent à ma digression, mon dessein étant seulement de considérer les suites directes de la dénonciation.

Si la dénonciation avait fait parler des deux sermons, l’écrit du ministre dénoncé en fit parler davantage ; et comme on était à la veille du synode, chacun attendait avec impatience ce que la compagnie résoudrait sur une affaire si délicate et si scandaleuse. On en fut bientôt éclairci. Le synode traita également de libelle l’écrit du dénonciateur et celui du dénoncé, et laissa tomber l’affaire comme une chose non avenue. Cela surprit étrangement ceux qui avaient cru que la compagnie ferait informer du fait, et laissa le public dans un grand scandale, ou contre le dénonciateur, s’il avait calomnié M. Jurieu, ou contre le dénoncé, s’il avait prêché la doctrine qu’on lui impute. C’est là le point où je veux aller. Il est honteux à notre siècle qu’on ose se jouer du public aussi hardiment qu’on s’en joue, et c’est de quoi nous faire perdre les plus spécieuses maximes que nous puissions opposer aux incrédules sur les matières de fait. Comme donc la grosseur de cet ouvrage fera peut-être qu’il résistera aux injures du temps un peu plus qu’un petit livre, je me sens obligé de communiquer à mes lecteurs, pendant que les choses sont fraîches, quelque sorte d’éclaircissement sur la dénonciation de la nouvelle hérésie, afin qu’un fâcheux pyrrhonien ne puisse point objecter qu’une dispute s’étant élevée l’an 1694, si un ministre, qui avait plus de douze cents auditeurs, avait prêché une certaine doctrine, il a été impossible, trois jours après, de savoir le oui ou le non. Ceux qui pèseront bien mes remarques m’avoueront, je m’assure, qu’il est possible, dans cette affaire, de discerner la vérité et la fausseté.

I. Je commence par cette considération. Il ne faut compter ici pour rien ce principe : S’il était faux qu’un ministre eût prêché devant douze cents personnes l’hérésie de la haine du prochain, personne n’aurait été assez hardi pour l’en accuser publiquement trois jours après. La raison pourquoi ce principe n’est ici d’aucune force est parce qu’on le peut combattre par cette autre proposition : S’il était vrai qu’un ministre eût prêché cette hérésie devant douze cents personnes, il ne l’aurait pas osé nier publiquement trois jours après. Voulez-vous conclure du premier principe qu’il faut que cette hérésie ait été prêchée, puisqu’aussitôt elle a été dénoncée publiquement ? je conclurai du second principe qu’il faut qu’elle n’ait pas été prêchée, puisqu’on s’est inscrit en faux publiquement tout aussitôt contre la dénonciation. Le plus court est de renoncer à cette voie de raisonnement, et de mettre en équilibre l’affirmation du dénonciateur et la négation du dénoncé. Imitons le synode de Tergou, qui n’a eu égard ni à l’une ni à l’autre, et qui a traité également de libelle écrit du dénoncé et l’écrit du dénonciateur. Généralement parlant, posons en fait que toute la preuve qu’on pourrait tirer de ce qu’il y a un homme qui affirme est ruinée par la raison qu’il y a aussi un homme qui nie, et cherchons ensuite dans les circonstances particulières s’il est plus sûr de se ranger dans le parti qui affirme que dans le parti qui nie. C’est à quoi sont destinées les observations suivantes.

II. Le dénonciateur n’a pas été obligé de se nommer, puisqu’il n’avait en vue que d’engager le synode à s’informer si l’hérésie qu’il dénonçait avait été actuellement prêchée. Ainsi l’on ne peut tirer aucun préjugé favorable à M. Jurieu de ce que son dénonciateur n’a pas déclaré son nom.

  1. Cette Apologie laisse l’écrit de M. de Beauval dans toute sa force, comme il le montra, dans sa réplique, d’une manière si terrassante que M. Jurieu, incapable de se tirer de cet embarras, a imité les missionnaires de France, qui se trouvaient trop pressés par un livre de controverse : ils recouraient aux juges pour obtenir que le livre fût supprimé.