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SYNERGISTES.

ceux de l’économie de la nouvelle loi. Il n’ignorait pas que le système du franc arbitre ne se montrait aux yeux de Calvin que sous une forme hideuse qui le lui faisait paraître comme destructif de la Providence, et formellement opposé aux épîtres de saint Paul, et à la gloire que Dieu tire du salut de l’homme. Ainsi Mélanchthon, en n’approuvant pas les sentimens de Calvin, ne laissait pas de connaître qu’ils étaient fondés sur des motifs très-dignes d’un homme de bien et d’un zélé serviteur de Dieu : il ne laissait pas de se trouver réuni avec ce docteur de Genève dans cette maxime, qu’entre deux opinions il faut toujours faire choix de celle qui est plus conforme à l’Écriture et aux intérêts du Créateur. Le parfait accord qui était entre eux à l’égard de cette thèse fut cause de leur discorde ; car, en exécution de cette maxime, Calvin embrassa l’hypothèse de la nécessité, et Mélanchthon celle de la liberté. L’un crut que le souverain empire de Dieu sur toutes choses, et les droits d’une providence digne de l’Être infini, demandaient une prédestination absolue. L’autre crut que la bonté, et la sainteté, et la justice de l’Être suprême, demandaient quelque contingence dans nos actions. Voilà le principe de l’un et de l’autre. Ils tendaient au même but, savoir à la plus grande gloire de Dieu ; mais ils y tendaient par des chemins différens. Devaient-ils pour cela cesser de se reconnaître pour frères, et pour compagnons d’œuvre dans la vigne du Seigneur [1] ?

Je prévois qu’on me représentera, que la différence de ces routes a dû obliger ces deux docteurs à se dire anathème l’un à l’autre, vu que Mélanchthon a dû croire que sous prétexte de maintenir les droits de l’autorité divine, Calvin anéantissait la bonté, la sainteté et la justice de Dieu, en le faisant auteur du péché et des enfers ; et qu’au contraire Calvin a dû soutenir que sous prétexte de ménager ces trois attributs de Dieu, Mélanchthon bouleversait la providence et l’empire de la Divinité, en donnant à l’homme un franc arbitre. Mais voici une très-bonne solution. Si Calvin eût dogmatisé de cette manière, Ne pouvant sauver tous les attributs de Dieu, j’en abandonne une partie afin de conserver l’autre, et j’aime mieux sacrifier les vertus morales aux vertus physiques, que celles-ci à celles-là, j’aime mieux le faire un maître puissant, qu’un bon maître ; il eût mérité que tous les hommes l’anathématisassent. Mais il soutenait en toutes rencontres qu’en maintenant la suprême autorité de Dieu, il ne prétendait donner aucune atteinte aux perfections morales de l’Être infini, à la bonté, à la sainteté, à la justice. Mélanchthon aurait donc été fort injuste de le chicaner là-dessus personnellement ; je veux dire de lui imputer des conséquences qui, au pis aller, ne pouvaient être que du dogme, puisque le docteur les désavouait. Rapportons les termes de son désaveu : Ubiquè in scriptis suis clamitat (Calvinus) quoties de peccato agitur, non miscendum esse Dei nomen : quia in Dei naturam non nisi perfecta rectitudo et æquitas competit. Quàm putida igitur calumnia est, hominem de ecclesiâ Dei benè meritum, crimine hoc involvere, quasi Deum faciat authorem peccati ? Docet quidem ubiquè nihil fieri nisi volente Deo. Intereà quæ sceleratè fiunt ab hominibus Deum arcano judicio ita moderari asserit, ne quid affine habeat hominum vitio. Summa doctrinæ ejus est, Deum mirabiliter, et modis nobis incognitis, in quemcumque vult finem omnia dirigere, ut æterna ejus voluntas prima sit rerum omnium causa. Cur autem velit Deus quod nobis videtur minimè consentaneum, fatetur esse incomprehensibile. Ideòque nimis curiosè et audacter investigandum esse negat : quoniam judicia Dei sint abyssus multa, et mysteria quæ modulum nostrum superant, reverenter adorare conveniat polis, quam excutere. Intereà principium illud retinet, quamvis nos ratio consilii lateat, semper tribuendam esse Deo justitiæ laudem : quia ejus voluntas summa sit æquitatis regula [2]. Des gens

  1. Notez qu’on ne prétend point étendre cette notion sur toutes les sectes qui se trouveraient réunies dans la maxime générale de tendre à l’honneur de Dieu.
  2. Calvinus, in brevi Responsione ad diluendas nebulonis cujusdam calumnias, pag. m. 730.