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SADUCÉENS

tant d’hypocrisie en leurs mœurs ; et ils ne se montraient pas si cruels ennemis de Jésus-Christ. Vous trouverez la même remarque dans le Dictionnaire de M. Hofman.

(F) C’est un juste sujet d’étonnement qu’ils n’aient pas été excommuniés. ] Commentons cela par un passage qui contient une observation de Luc de Bruges. Mirum igitur videri queat qui, ubi scribit Lucas Brugensis anaotation. in Matth. III, vers. 7, quanquam errarent sadducæi, et quidem graviter, nunquàm tamen à veteri synagogâ declarati sint hæretici, h. e. desertores fidei, aut legis à Deo traditæ, vel ut populi seductores, synagogæ communione ejecti quemadmodùm samaritani Joh. 4, 9. Imò promiscui versabantur etiam ipsi pharisæi et sacerdotes cum sadducæis tam in sacris quàm prophanis locis Act. 4, 1, c. 23, 6, et communia non rarò inibant consilia adversùs Christum ejusque discipulos Matth. 16, vers. 1, Actor. 5, 1. Denique licebat cuivis, utri vellet parti adhærere. Verùm id tribuendum corruptissimis seculi illius moribus[1]. Il faut avouer qu’une telle tolérance était excessive ; car enfin les erreurs des saducéens ne regardaient pas des vérités indifférentes, mais les points les plus fondamentaux de la religion : des modernes qui écrivent pour la tolérance ne la demandent pas aussi étendue que l’était alors celle des Juifs ; ils ne demandent pas qu’elle soit ecclésiastique pour toutes sortes de sectes ; ils se contentent qu’elle soit civile ou politique. Vous avez vu que M. Willemer impute cette tolérance de la synagogue pour la secte saducéenne aux mœurs corrompues de ces siècles-là ; vous allez voir qu’il en donne d’autres raisons particulières, et nommément l’exactitude avec quoi ces hérétiques pratiquaient tous les actes extérieurs du culte public : Magnoperè impediebat ejectionem promeritum favor magnatum planè singularis erga sadducæos. Adjuvabat ingens sadducæorum, quæ invaluerat, potentia, ac ingeniosa quâ abominandam hæresim tegebant astutia : crebra item sacrificia, atque reliqua levitici cultûs onera, quæ pro salute populi se suscipere gloriabantur[2]. Il est certain que la plus énorme diversité de sentimens à l’égard des dogmes spéculatifs de la religion trouve plus de tolérance que la plus petite dispute à l’égard du culte. Faites quant à l’extérieur tout ce que la religion dominante prescrit, vous serez plus supporté dans vos hérésies capitales que si dans ces hérésies vous combattiez l’extérieur.

Notons qu’un théologien réformé, qui est devenu grand défenseur de l’intolérance[3], avait réfuté le dogme du supplice des hérétiques, entre autres raisons par la conduite de Jésus-Christ envers les saducéens. Il observa que Jésus-Christ agit avec eux avec beaucoup de clémence, et ne blâme point les magistrats qui les toléraient. Voyez les Pensées diverses sur les Comètes à l’article CLXXXV.

(G) C’est sans beaucoup de raison que l’on prétend qu’ils n’admettaient que les cinq livres de Moïse. ] Tertullien assure qu’ils adoptèrent l’hérésie de Dosithéus, qui avait rejeté les prophètes, et qu’ils y joignirent une autre impiété, ce fut de nier la résurrection : Taceo… Dositheum qui primus ausus est prophetas quasi non in Spiritu Sancto locutos repudiare. Taceo sadducæos qui ex hujus erroris radice surgentes, ausi sunt ad hanc hæresim etiam resurrectionem carnis negare[4]. Origène[5], saint Jérôme[6], et une infinité d’autres écrivains assurent le même fait ; je veux dire que cette secte n’avait retenu du canon de l’Écriture que le Pentateuque. Je l’ai débité aussi dans un autre ouvrage[7] ; mais j’avoue ici que ce sentiment ne me paraît pas bien fondé. Il est combattu par un argument négatif que je trouve tout-à-fait bon. L’Écriture Sainte ne dit jamais en parlant des saducéens et de leurs erreurs, qu’ils rejetassent les prophètes. Ce silence, je l’avoue, n’est pas une raison convaincante ; mais que

  1. Willemer., Diss. philol. de Sadducæis, pag. 14, 15.
  2. Idem, ibidem, pag. 15.
  3. Jurieu, Apologie pour la Réformation, tom. II, pag. 254, édition in-4o.
  4. Tertullian., de Præscript. adversùs Hæretic., cap. XLV.
  5. Origenes, tractat. XXI in Matt.
  6. Hieronymus, in Matthæum, cap. XXII.
  7. Dans les Pensées diverses sur les Comètes, pag. 580.