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RONSARD.

vers de Ronsard. Aucuns, dit-il, ont trouvé la correction qu’il a faite en ses œuvres, en quelques endroits moins agreable que ce qu’il avoit premierement conceu : comme il peut avenir, principalement en la poësie, que la premiere fureur est plus naïve, et que la lime trop de fois mise, au lieu d’éclaircir et de polir, ne fait qu’user et corrompre la trempe. Pasquier dans ses Recherches [1], a fait la même remarque. Grand poëte entre les poëtes ; il parle de Ronsard, mais trop mauvais juge et aristarque de ses livres. Car deux ou trois ans avant son decés, estant affoibli d’un long âge, affligé de gouttes, et agité d’un chagrin et maladie continuelle, cette verve poëtique qui lui avoit auparavant fait bonne compagnie, l’ayant presque abandonné, fit imprimer toutes ses poësies en un gros volume, dont il reforma l’œconomie generale, chastra son livre de plusieurs belles et gaillardes inventions, qu’il condemna à une perpetuelle prison, changea des vers tous entiers, dans quelques uns y mit d’autres paroles, qui n’estoient de telle pointe que les premieres : ayant par ce moyen osté le gerbe qui s’y trouvoit en plusieurs endroits : ne considerant que combien qu’il fust le pere, et par consequent estimast avoir toute autorité sur ses compositions, si est-ce qu’il devoit penser, qu’il n’appartenoit à une fascheuse vieillesse de juger des coups d’une gaillarde jeunesse. Mais rien ne prouve si bien cette vérité, que l’exemple du Tasse, qui a changé de bien en mal son poëme de la Jérusalem. » Il y a long-temps qu’on fait ce reproche au Tasse. J’ai un livre qui s’intitule : il Duello dell’ Ignoranza, e della Scienza, et qui fut imprimé l’an 1607, à Milan ; et j’y trouve que l’on blâme ce grand poëte d’avoir ôté plusieurs beaux endroits nella Gierusalemme conquistata, pour en substituer de ridicules. On marque quelques-uns de ces endroits, après quoi l’on parle ainsi : a’ quali tutti gratissimi, e giocondissimi avvenimenti sustituisce il Tasso cose tali, che se con simplice intelligenza debbono prendersi, sono si frivole, che niente più, e se ci è dentro qualche mistero, egli ci è involto con tante ambagi, ch’ à sottrarnelo non basterebbe l’istesso Edippo[2]. L’auteur qui me fournit ce passage se nomme don Constantino de’ Notari Nolano della congregazione cassinense. J’ai dit ailleurs[3] beaucoup de choses touchant les défauts où le travail de la correction peut faire tomber.

(Q) Le lieu commun des railleries, que les poëtes sont mal logés, a été mis en usage contre Ronsard. ] Sa condition à cet égard-là était pire que de loger au troisième étage, puisqu’on prétend qu’il était posté comme un fanal au haut d’une tour, où comme ces sentinelles qui prennent garde toute la nuit si le feu attaque quelque maison. On ajoute qu’il reste encore un monument de cette triste demeure, puisqu’on continue de donner son nom à la tour qui lui servait de logis. C’est à quoi sans doute il ne s’était pas attendu : on n’aime point l’immortalité par de tels endroits ; et l’on serait bien marri de leur pouvoir appliquer cette pensée d’Horace,

Exegi monimentum ære perennius
Regalique situ pyramidum altius[4].


Le témoin que j’ai à produire s’est exprimé de la manière que l’on va voir. Ronsard[* 1], qui n’eût, dit-on,

  1. * Leclerc et Joly regardent ce récit comme une fable. En même temps il réfutent d’une manière péremptoire ce que plusieurs écrivans disent du présent d’une plume d’or, fait par Ronsard à du Bartas, à l’occasion de la Création, ou la première Semaine, en avouant que du Bartas avait plus fait dans une semaine que lui Ronsard dans toute sa vie. Leclerc et Joly rapportent le sonnet de Ronsard à Dorat, son précepteur, et des vers contre du Bartas qui détruisent de fond en comble le conte du mot et du présent.

    On peut voir ci-devant, tom. IX, pag. 359, remarque (A) de Ph. de Lorme, un sonnet de Ronsard qui ne se trouve pas dans toutes les éditions de ses Œuvres, et qui paraît être la pièce qu’on appelle improprement la Truelle croisée.

    Cette suppression s’explique le passage de Ménage rapporté en la remarque (P).

    Quant à l’Échauguette, où Rabelais dit que Ronsard logeait à Meudon, il se peut que Ronsard, à la cour des princes de Lorraine, logeât

  1. Liv. VII, chap. VII, pag. m. 623.
  2. Duello dell’ Ignor. et della Scienza, lib. IV, cap. II, pag. 183.
  3. Voyez, tom. IX, pag. 251, la remarque (F) de l’article Linacer.
  4. Horat., od. XXX, lib. III.