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PERGAME.

Attalus quidem, quùm præter ætatem (ut mihi quidem videtur), majore contentione oratorem Quintio præstare vellet, et vertigine quâdam vel pituitâ esset in mediâ oratione correptus, collapsus est, nec multis diebus post in Asiam navibus devectus expiravit. Voyez dans Tite Live[1] comment Eumènes, fils d’Attalus, représenta cet accident au sénat romain, après avoir étalé en peu de mots les services que son père avait rendus à la république romaine.

(E) Il vécut en fort bonne intelligence avec sa femme. ] Elle était de Cyzique et de condition roturière, et se nommait Apollonias. Elle acquit le caractère de reine, et le conserva toute sa vie, non par les adresses d’une courtisane[2], mais par sa modestie, par sa probité, par sa prudence, par sa gravité. Elle aima tendrement ses quatre fils, et leur conserva son affection jusques à sa mort, quoiqu’elle survécût plusieurs années à son mari. Cette clause n’est pas superflue ; car il n’arrive que trop souvent que des reines douairières fassent des cabales au préjudice de leurs enfans. Le roi Attalus, son fils, l’honora beaucoup ; ce fut un spectacle que l’on admira dans Cyzique, que de le voir, lui et son frère, mener par la main leur mère dans tous les temples et dans tous les autres lieux de la ville. Cela leur attirait mille louanges et mille bénédictions [3]. On ne serait pas si surpris de voir aujourd’hui de semblables choses dans l’Occident.

(F) Il sut si bien contenir ses frères dans leur devoir. ] Polybe, nous donnant le caractère d’Eumènes, marque, pour le dernier trait de distinction, que ce fut un prince qui se conduisit si habilement envers ses frères, qu’ils furent les instrumens de la sûreté de son règne. Il ajoute qu’on voit rarement cela. Ἀδελϕοὺς χων τρεῖς καὶ κατὰ τὴν ἡλικίαν καὶ ρῶξιν πάντας τούτους συνέσχε πειθαροῦντας αὐτῷ, καὶ δορυϕοροῦντας καὶ σώζοντας τὸ τῆς βασιλείας ἀξίωμα. τοῦτο δὲ σπανίως εὔροι τις ἂν γεγονὸς. Fratres cùm haberet tres et ætate et industriâ pollentes, eos in officio omnes continuit et morigeros custodesque regni ac dignitatis suæ habuit satellites. Quod rarò admodùm contigisse reperias [4]. Il a raison de dire que c’est une chose rare[5] : l’histoire est toute remplie des cruelles guerres que les princes ont eues à soutenir, ou contre leurs frères, ou contre leurs propres enfans. De sorte que ceux qui l’ont lue avec réflexion, ont pu bâtir cet aphorisme, qu’un roi qui a des frères et des enfans a plus de peine à gouverner sa famille qu’à gouverner son royaume. S’il prévient les guerres civiles, ce n’est pas sans des précautions pénibles et continuelles ; et s’il ne les prévient pas, quels soins ne doit-il point prendre pour les terminer ? à quelle inquiétude, à quels périls ne se voit-il pas exposé ? La politique des Turcs fait horreur ; elle sacrifie inhumainement à celui qui règne, ou la vie, ou la liberté de tous ses frères : mais c’est un mal nécessaire ; car sans cela on exposerait un vaste empire aux désolations les plus affreuses. Voyez les Méditations historiques de Camérarius au chapitre LXXXVIII du Ier. volume. Quoi qu’il en soit, ne regardons pas comme un bonheur, mais plutôt comme l’effet d’une prudence consommée, soutenue par un grand mérite, la concorde où le roi Eumènes fit vivre ses frères. Il était d’autant plus difficile de les contenir dans leur devoir, qu’ils étaient environnés de mauvais exemples. La Syrie et l’Égypte étaient cruellement déchirées par des disputes de succession. La maison royale dans la Macédoine fut ensanglantée par la jalousie de l’autorité. Ce fut un siècle abominable. On ne voyait qu’attentats horribles des frères contre les frères, et des pères contre les enfans, ou des enfans contre les pères. Cela était fort capable de tenter les frères du roi de Pergame. Leur mère avait bien sujet de s’estimer très-heureuse de les voir si bien unis.

  1. T. Livius, lib. XXXVII, cap. LIII.
  2. Οὐχ ἑταιρικὴν προσϕερομένη πιθανότητα. Non meretriciis illecebris. Polybius, ubi infrà.
  3. Polybius, in Excerptis Valesian., pag. 113, 114.
  4. Idem, ibidem, editis, pag. 169.
  5. Conférez ce que dessus, citation (7) de l’article Drusille, fille d’Agrippa, tom. VI, pag. 25 ; et citation (4) de l’article Drusus, fils de Germanicus, dans le même vol., pag. 59.