Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T11.djvu/471

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
455
PATIN.

ce que les poëtes disaient des enfers, que c’était une petite maison,

Domus exilis Plutonia[1],


Il ne faut pas beaucoup de place, répondit-il, pour des embrions. Mais, répliqua-t-on, combien y a-t-il d’enfans de quatre ou cinq ans qui vont aux limbes ? Et de plus ne savez-vous pas que les embrions et tous les enfans ressusciteront hommes faits ? Alors comme alors, répondit-il ; ne vous en mettez pas en peine. Le monde est assez grand.

Au reste, il y a des gens qui trouvent que Virgile, qui a reconnu les limbes, aurait dû les partager en deux portions : l’une pour les enfans qui meurent avant que de naître ; l’autre pour ceux qui meurent dans le berceau. Le grand nombre des premiers méritait bien une classe particulière, disent ces gens-là : d’où vient donc que ce grand poëte n’a rien dit de ces pauvres créatures ?

Continuò auditæ voces, vagitus et ingens,
Infantumque animæ flentes in limine primo,
Quos dulcis vitæ exsortes, et ab ubere raptos
Abstulit atra dies, et funere mersit acerbo[2].

(E) Nous verrons… l’observation d’un célèbre jurisconsulte. ] Il dit que l’utilité des lois ne doit pas être suspendue, sous prétexte de quelques inconvéniens qu’elles produisent, et il rapporte là-dessus ce que disait Caton, qu’il n’y avait point de loi qui fût commode à tous les particuliers. Voici les termes de Bodin[3] : « Je confesse bien qu’il vaut mieux absoudre le coupable, que de condamner l’innocent : mais je dis que celuy, qui est convaincu de vives presomptions, n’est pas innocent, comme celuy qui fut trouvé l’espée sanglante près du meurtry n’ayant autre que luy, et autres conjectures, que nous avons remarquées. C’est pourquoy le roy Henry second fist un edict en ce royaume, fort salutaire, publié et enregistré le quatriesme de mars, l’an mil cinq cens cinquante six[4], par lequel il veut que la femme soit reputée avoir tué son enfant, et punie de mort, si elle a celé sa grossesse, et son enfantement : et que son enfant soit mort sans baptesme, et qu’elle n’ait prins tesmoignage de l’un ou de l’autre, et ne seront creues de dire que l’enfant est mort-né. Ce qui a depuis esté pratiqué par plusieurs arrests…… Et neantmoins il se peut faire que la femme, pour conserver son honneur, aura celé son fruict, et sa grossesse, et son enfantement, et que l’enfant qu’elle eust volontiers nourry, soit mort en la delivrance : mais d’autant qu’on a veu que sous ceste couverture que l’enfant estoit mort-né, on commettoit plusieurs parricides, il a esté resolu sagement que telle presomption suffit, pour proceder à peine de mort, pour venger le sang innocent. Car il ne faut pas pour un inconvenient, qui n’adviendra pas souvent, qu’on laisse à faire une bonne loy[* 1] ; et pour ceste cause je fus d’advis qu’une de Muret, près Soissons, fust condemnée à mort, ayant celé sa grossesse, et sa delivrance, et enterré son enfant en un jardin, le mois de mars m. d. lxxviii. » Je sais que l’auteur de la gazette flamande de Harlem a débité dans l’article de Paris, il n’y a pas fort long-temps[5], ne l’on avoit donné ordre que cet édit de Henri II fût remis dans sa première vigueur, et qu’il fût lu au prône les jours de fête dans toutes les paroisses. Je ne sais si les autres gazetiers en ont fait mention, mais je ne me souviens point d’avoir trouvé cette nouvelle, ni dans le Mercure Politique, ni dans les Lettres Historiques.[* 2] Elle auroit pourtant pu fournir bien des réflexions.

(F) Un passage de Henri Étienne… nous apprendra, entre autres choses, que cette loi… ne fit périr que des servantes. ] Parce que ces autres choses peuvent servir de confirmation et de supplément aux remarques précédentes, je ne me suis pas contenté de rapporter ce qui concerne l’impunité des personnes de condition : j’y ai joint aussi plusieurs faits et plu-

  1. (*) L. 3 et 4 de legib. ff. 9. Sic Cato dicebat nullam legem satis commodam omnibus esse.
  2. * « Le fait rapporté par la Gazette de Harlem est vrai, dit Leclerc, et l’ordonnance se réitère de temps en temps. »
  1. Horat., od. IV, lib. I.
  2. Virgil., Æn., lib. VI, vs. 426.
  3. Bodin, Démonomanie des Sorciers, liv. IV. chap. V, pag. m. 447, 448.
  4. À commencer l’année après Pâques.
  5. Je crois que ce fut l’an 1698.