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MUSCULUS.

tychienne et monophysitique au jugement même de quantité de luthériens, et qu’au fond elle est visiblement réfutée par l’article du Symbole des Apôtres, il est monté au ciel. C’est pourquoi, ajoute-t-il, André Musculus, venant au secours de Jacques André dans un péril si pressant, enseigna que l’ascension de Jésus-Christ n’avait été autre chose qu’une cessation de la visibilité de sa chair. Il soutint que cette chair est encore dans les nues où elle disparut aux yeux des apôtres, et que selon le style de l’Écriture, et la propriété des termes monter et descendre, il ne faut s’imaginer aucun changement de lieu dans l’ascension de Jésus-Christ. Voici un peu au long les paroles d’Hospinien ; car, dans le récit de semblables paradoxes, plus on abrége, plus on court risque d’imposer à son lecteur. « Idcircò Jacobo Andreæ succenturiatus est in gravi isto periculo Andreas Musculus, qui ascensionem Christi in cœlos dixit esse, disparentiam, et evanescentiam duntaxat carnis Christ in his nubibus, ubi adhùc sit, et versetur, sed non visibili modo, formâ, et eo conversationis genere, quo antè ascensionem et mortem conversatus est cum suis apostolis. Sic enim sectione 3, articulorum Marchiticorum, articulo 6, scribit : Constare ex Spiritùs Sancti grammaticâ, et vocabuli descendere vel ascendere proprietate, filii hominis ascensionem in cœlum nihil aliud esse, quàm visibilem disparentiam, ac ut propriissimè loquitur Lucas Actor. 1, subductionem per nubem ex oculis apostolorum, discessionem ex hâc mortali hominum vitâ, transmigrationem ex visibili conversatione hominum, evanescentiam ex oculis hominum palpabilis et visibilis hujus vitæ conversationis, ingressum in cœlum, regnum Dei patris gloriosum. Et artic. 7. Hanc, dicit, ascensionem non factam esse motione physicâ de loco in locum, etc. [1]. C’est ainsi que les cartésiens raisonnent sur le mouvement des esprits : ils n’y admettent aucun changement de lieu, ils prétendent que la sortie de l’âme hors du corps n’est autre chose qu’une cessation de la relation qui avait régné pendant la vie de homme entre les modifications du cerveau et les pensées de l’âme. Mais quand on avance des hypothèses semblables touchant des êtres réellement étendus comme est le corps de Jésus-Christ, on ne saurait se faire entendre à qui que ce soit. Le même Musculus déclara dans un sermon, l’an 1564, que ceux qui enseignent que Jésus-Christ n’est mort qu’à l’égard de sa nature humaine, appartiennent au diable en corps et en âme, et que la doctrine orthodoxe est qu’il est mort et selon sa nature humaine et selon sa nature divine. « Andreas Musculus quoque hoc anno feriâ quartâ septimanæ magnæ antè Pascha publicè pro suggestu ad populum hæc verba inter alia locutus est. Hic est diaboli, qui docet filium hominis passum et mortuum esse : et quisquis in hâc sententiâ perrexerit, diaboli est. Iterùm dico : Quicunque docent, Christum secundùm humanitatem tantùm mortuum esse, animâ et corpore, diaboli sunt. Hæc autem vera est sententia, Christum secundùm utramque naturam, divinam et humanam, mortuum esse [2]. » Il publia un livre, l’an 1575, pour faire voir qu’il n’est nullement nécessaire que le corps glorieux de Jésus-Christ occupe physiquement aucun espace : Contrà necessitatem physicæ locationis in corpore Christi clarificato et glorioso [3]. Ce qu’il y a d’étrange et de bien fâcheux, c’est que ces doctrines absurdes qui naissent l’une de l’autre, dès qu’on a une fois posé une présence réelle de Jésus-Christ au sacrement de l’Eucharistie, etc., ont eu des défenseurs qui ne manquaient ni d’esprit, ni d’éloquence, ni d’érudition, et qui ont trouvé des ressources infinies pour éluder les objections de leurs adversaires. Il faut avouer ingénument que pour satisfaire aux raisons des ubiquistes on se voit contraint de dire des choses qui ne sont pas plus concevables que l’ubiquité.

  1. Hospin., Histor. Sacrament., part. II, pag. 492, ad ann. 1561.
  2. Idem, ibidem, pag. 553, ad ann. 1564.
  3. Idem, ibidem, pag. 600. Voyez aussi Bêze, au Traité de Unione hypostaticâ, p. 89, tom. III Operum.