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MUSCULUS.

proposé de combattre tout à la fois deux grands ennemis, il se démêle du principal avec si peu d’avantage qu’il semble que l’autre qu’il n’avait touché qu’en passant pouvait bien se passer d’exercer une si violente vengeance que celle qui est décrite en l’aventure de l’île enchantée [1]. Mais c’est à lui de démêler cette querelle avec Narcisse qui l’attend il y a longtemps au pré aux Clercs, à couvert néanmoins de tous les mauvais vents, et auprès du soleil, de la nuit et des mauvais jours, à trente journées de la guerre. Résolu de se battre avec des épées dont les lames soient, non de damas, mais de satin, et des pistolets chargés de prunes de Gênes et de poudre de Cypre.… Un adversaire plus magnifique et plus digne de considération, c’est, à mon avis, l’auteur de la Réponse à Phyllarque [2], qui est le même de la préface des Belles-Lettres, et selon l’opinion de quelques-uns  de ce généreux ouvrage qui porte pour titre : la Défaite du Paladin. Cette Réponse est une pièce concertée ; où, quoique l’écrivain assure le contraire, on tient que Narcisse a bonne part, bien que non pas telle qu’en l’apologie que chacun lui attribue [3].

Les parties ayant dit ou pour ou contre Balzac et son adversaire toutes leurs raisons, celui à qui elles déférèrent le jugement de la cause donna cet arrêt :

Je vous juge tous deux dignes de la génisse [4],
Tant vous êtes égaux en ce bel exercice
De parler et répondre. Assez braves guerriers,
Tous deux également couronnés de lauriers,
Élevez notre langue au plus haut de sa gloire,
Et consacrez vos noms au temple de mémoire [5].

  1. C’est celle qui est décrite dans la Défaite du paladin Javersac. Voyez la remarque (A) de l’article Javersac, tom. VIII, pag. 341.
  2. C’est-à-dire la Motte-Aigron. Voyez son article, dans ce volume, pag. 570. On le nomme le sieur d’Aigremont, dans la page 193 de la Conférence académique.
  3. Conférence académique, pag. 269.
  4. Imitation d’un semblable jugement qui est à la fin de la IIIe. églogue de Virgile, et vitulâ in dignus et hic, etc.
  5. Conférence académique, pag. 328.

MUSCULUS (Wolfgang), l’un des plus célèbres théologiens du XVIe. siècle, naquit à Dieuze en Lorraine, le 8 de septembre 1497. Son père qui était un tonnelier, le voyant enclin à l’étude le destina aux lettres ; mais il fallut que l’écolier pourvût lui-même à sa subsistance, c’est-à-dire qu’il mendiât son pain en chantant de porte en porte. Il chanta un jour à vêpres dans un couvent de bénédictins [a] si heureusement, qu’on lui offrit gratis l’habit de l’ordre. Il accepta la proposition. Il n’avait alors que quinze ans. Il s’appliqua beaucoup à l’étude et devint un très-bon prédicateur. Il approuva les sentimens de Luther, et les soutint fortement en toutes rencontres ; et cela fit beaucoup d’impression sur plusieurs de ses confrères ; car la plupart des bénédictins de ce couvent quittèrent le froc. Il se fit d’autre côté beaucoup d’ennemis, et se trouva exposé à divers dangers ; mais enfin il se tira de ces embarras par la profession ouverte du luthéranisme. Il se sauva à Strasbourg, vers la fin de l’an 1527, et y épousa en face d’église, le 27 de décembre de la même année, Marguerite Barth, qu’il avait fiancée avant que de sortir du monastère. N’ayant pas de quoi subsister, il mit sa femme pour servante chez un ministre, et se rendit apprenti du métier de tisserand chez un maître qui le chassa deux mois après [b]. Il s’était résolu à gagner sa vie au travail des fortifications de Strasbourg [c] ; mais

  1. Au pays de Lutzelstein,
  2. Ce fut à cause que Musculus disputait trop avec un ministre anabaptiste qui logeait chez le tisserand.
  3. Conférez ce que dessus, remarque (I) de l’article Junius (François), tom. VIII, pag. 488.