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MUCIE.

mariage.] Il eut cinq femmes. La première se nommait Antistia. Il la répudia malgré lui, pour complaire à Sylla le dictateur, qui voulut qu’il épousât Émilie, fille de Scaurus et de Métella. Celle-ci était alors femme de Sylla. Émilie était mariée et grosse. C’est pourquoi Pompée ne l’épousa que pour céder aux volontés impérieuses du dictateur. Il n’approuvait. point dans son âme que l’on arrachât Émilie enceinte à son mari, et qu’on l’obligeât à répudier misérablement et ignominieusement Antistia [1], dont le père n’avait été tué que parce qu’on le soupçonnait de favoriser le parti de Sylla, à cause de Pompée. La mère d’Antistia s’était tuée en apprenant la fin tragique de son mari. Pompée ne fut pas long-temps avec Émilie ; car elle mourut en accouchant de l’enfant dont elle était grosse quand elle entra chez Pompée [2]. Il se maria ensuite avec Mucie ; et, après l’avoir répudiée, avec Julie, fille de César, laquelle devait épouser Cépion dans peu de jours [3]. Soit qu’il l’aimât, soit qu’à cause qu’il en était tendrement aimé, il ne voulût pas se séparer d’elle, il s’amusa à la promener de lieu en lieu, et à lui montrer les plus belles maisons de plaisance de Italie, sans se mêler des affaires [4]. Cette vie molle lui fit du tort, et l’exposa à la médisance. Cela ne dura guère. Il se fit des meurtres proche de lui un jour de comices, et il fut obligé de prendre d’autres habits, car le sang avait sali ceux qu’il portait. Julie, les ayant vus en cet état entre les mains des domestiques, fut si émue qu’elle tomba évanouie, et qu’elle fit une fausse couche. Quelque temps après elle devint grosse, et mourut en accouchant d’une fille [5], qui ne vécut que peu de jours [6]. Enfin, il épousa Cornélie, et quoiqu’elle fût d’un grand mérite, il eut le malheur d’apprendre qu’on blâmait beaucoup ce mariage. Voici une citation de Plutarque bien curieuse : « Pompejus, retournant en la ville, espousa Cornelia, la fille de Metellus Scipion, non fille, ains de nagueres demeurée vefve de Publius Crassus le fils, qui fut occis par les Parthes, auquel elle avoit esté mariée la première fois. Ceste dame avait beaucoup de graces pour attraire un homme à l’aymer outre celles de sa beauté ; car elle estoit honnestement exercitée aux lettres, bien apprise à jouer de la lyre, et scavante en la geometrie, et si prenoit plaisir a ouyr propos de la philosophie, non point en vain et sans fruit : mais qui plus est, elle n’estoit point pour tout cela ny fascheuse ny glorieuse, comme le deviennent ordinairement les jeunes femmes qui ont ces parties et ces sciences-là. Davantage elle estoit fille d’un pere auquel on n’eust sceu que reprendre, ny quant à la noblesse de sa race, ny quant à l’honneur de sa vie ; toutes fois les uns reprenoient en ce mariage, que l’âge n’estoit point sortable, pour ce que Cornelia estoit jeune assez pour estre plustost mariée à son fils ; et les plus honnestes estimoient qu’en ce faisant il avoit mis à non chaloir la chose publique au temps qu’elle estoit en si grands affaires, pour auxquels remedier elle mesme l’avoit choysi comme médecin, et s’estoit jetté entre les bras de luy seul, et cependant : il s’amusoit à faire nopces et festes, là où plustost il devoit penser que son consulat estoit une publique calamité, pource qu’il ne luy eust pas esté ainsi baillé extraordinairement à lui seul, contre la coustume, et les loix, si les affaires publiques se fussent bien portez [7]. » Cette illustre dame se repentit, de n’avoir

  1. Ἐξελαυνομένης τῆς Ἀντιςίας ἀτίμως καὶ οἰκτρῶς. Expellitur Antistia ignominiosè miserèque. Plutarch., in Pompeio, pag. 613, B.
  2. Tiré de Plutarque, ibidem.
  3. Plutarch., ibidem, pag. 644.
  4. Idem, ibidem, pag. 647, B. Vous trouverez verrez aussi ces paroles, ibidem, pag. 644, F. Ταχὺ μέντοι καὶ αὐτὸς ἐμαλάσσετο τῷ τῆς κόρης ἔρωτι, καὶ προσεῖχεν ἐκείνῃ τὰ πολλὰ καὶ συνδιημέρευεν ἐν ἀγροῖς καὶ κήποις, ἠμέλει δὲ τῶν κατ᾽ ἀγορὰν πραττομένων. Brevi tamen ipse quoque uxoris juvenculæ emollitus est amore, ac ferè assiduus cum eâ ruri, et in hortis egit. Postmisit etiam negotia forensia.
  5. Ex Plutarcho, ibidem, pag. 647.
  6. Idem, in Cæsare, pag. 719, C.
  7. Plut., in Pompeio, pag. 648. Je me sers de la version d’Amyot.