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MOTTE.

plus de résistance qu’on ne croyait pas qu’il observerait la capitulation qu’il accorderait (C). Le marquis de Villeroi, qui lui succéda au commandement de l’armée, contraignit le gouverneur de la place à capituler : il lui promit entre autres choses qu’elle ne serait ni rasée ni démantelée ; mais cet article ne fut point observé : le ressentiment de la reine-mère l’emporta sur l’obligation de tenir parole (D).

(A) Elle fut prise par les Français, l’an 1634. ] Voici un petit détail. Louis XIII ordonna au maréchal de la Force, « qui demeurait toujours sur les frontières de Lorraine avec des troupes, de réduire sous son obéissance toutes les places qui ne reconnaissaient pas encore son autorité. La Motte, comme la plus forte, fut la première attaquée, et donna seule plus de peine au maréchal que toutes les autres, quoique n’étant pas suffisamment pourvue de gens, et de munitions de guerre et de bouche, et ne pouvant être secourue, à cause de la conjoncture du temps favorable au roi en ces quartiers-là. Elle ne se défendit pas autant qu’elle aurait pu faire, étant la plus forte qui fût en Lorraine, et pour sa situation sur le roc, qui en rend les approches très-difficiles, et pour n’être commandée de nulle part. Elle fut rendue néanmoins au bout de trois mois, après que M. d’Iche, qui en était gouverneur, et qui la défendait, y eût été tué d’un éclat de canon [1]. »

(B) Les troupes de France qui la bloquèrent furent contraintes de se retirer. ] « Les armes du roi étant alors occupées en divers endroits contre l’Espagne, tout ce que put faire M. du Hallier, avec le petit corps d’armée qu’on lui laissa, fut d’y former une espèce de blocus, dans l’espérance de l’affamer, sachant bien qu’elle n’était pas bien fournie de vivres : mais le duc ne lui en donna pas le loisir ; car, apprenant les extrémités des assiégés, il leva le siége de Tanes qu’il avait attaqué, pour venir à leur secours, et contraignit M. du Hallier, après quelque escarmouche, de se retirer avec perte de son bagage, ayant auparavant envoyé son canon à Chaumont, pour une plus sûre précaution [2]. »

(C) On ne croyait pas que Magalotti observerait la capitulation qu’il accorderait. ] Voici la raison qu’en donne M. le marquis de Beauvau. Magalotti s’étant rendu maître de la contrescarpe, il fit d’autant plus promptement jouer la mine à un bastion, qu’il rencontra heureusement force veines dans le roc ; mais son bonheur ne fut pas de longue durée ; car ayant réduit les assiégés à soutenir l’assaut, ou à capituler, Clicot pour ne recevoir aucun reproche en son honneur, quoiqu’il se vit sans apparence de secours, et pour la crainte qu’il eut aussi que Magalotti ne lui tiendrait point la capitulation qu’il ferait avec lui, comme il l’avait juré dans la colère, piqué des injures infâmes et outrageuses dont la reine-mère, le cardinal, et lui avaient été chargés pendant le siége, prit la résolution de se défendre jusqu’à l’extrémité [3].

(D) Le ressentiment de la reine-mère l’emporta sur l’obligation de tenir parole. ] Nous venons de voir la cause de l’indignation de cette princesse, et voici quelles en furent les suites, « cette capitulation fut exactement observée pour ce qui regardait les gens de guerre et les meubles du duc ; mais les fortifications, et toute la ville, sans en excepter même l’église, furent si entièrement rasées, qu’il n’en paraît pas les moindres vestiges présentement : la reine-mère ayant si vivement ressenti les injures atroces dont on l’avait outragée, qu’elle aima mieux manquer à sa parole qu’à sa vengeance... Voilà la fin de la Motte, qui pour sa situation et la force de ses remparts taillés dans le roc paraissait imprenable, et les matériaux de cette malheureuse ville, comme

  1. Mémoires du marquis de Beauvau, p. 55.
  2. Là même, pag. 79.
  3. Là même, p. 86.