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MOSYNIENS.

voilà un fort joli conte ; la conclusion en est fort ingénieuse ; mais soyez assuré que c’est un roman ; car ceux qui proposent des argumens contre les thèses qui sont soutenues en Sorbonne, sont toujours des gens connus, et gradués dans la faculté, et revêtus même des habits, ou des ornemens de cérémonie qui leur conviennent. Si l’auteur du conte avait su cela, il aurait choisi une autre scène,

(P) Le jugement de M. Chevreau… est très-conforme..., et témoigne en même temps que les choses qu’on écrit à un homme ne ressemblent pas toujours à celles que l’on écrit de lui… à d’autres gens. ] Lisez les deux lettres qu’il lui écrivit l’an 1660 [1], l’une en français, et l’autre en latin ; et comparez les avec ce passage de sa lettre à M. le Fèvre : « Vous savez qu’il y a des hommes qui naturellement aiment le parfum de quelque côté qu’il puisse venir, qui le demandent comme une dette, et qui s’y sont tellement accoutumés, qu’on ne leur peut plaire qu’avec un encensoir à la main. C’est une faiblesse qui fait pitié, mais qui est humaine : outre que la profonde érudition de notre ami [2] dans les belles-lettres, la connaissance exacte qu’il a du grec, et de toutes les langues orientales, méritent bien qu’on le considère, et qu’on le distingue d’avec tant d’autres qui ne lui ressemblent que par son défaut. Ce qui m’en a plu dans les fréquentes conversations que nous avons eues, c’est qu’il m’a toujours dit de bonne foi qu’il était infiniment au-dessous de M. Daillé, qu’il croit plus solide que votre Calvin. Avec tout cela, un proposant que vous connaissez vient de m’assurer que M. Morus l’emporte, du consentement de tout le monde, sur M. Daillé ; que ses actions publiques d’imagination et de boutade, plaisent beaucoup plus par leur nouveauté, que l’éloquence de M, Daillé qui serait son maître [3]..... Ce que je crains, est qu’il ne s’entête de ces merveilleux applaudissemens ; qu’il n’ait pas la force de se faire la moindre violence dans son humeur libre ; et qu’il ne succombe dans son penchant,... sans avoir égard à son caractère, à sa réputation et à sa fortune [4]. M. Morus, dit-il dans une autre lettre [5], a beaucoup d’érudition et d’esprit : peu de religion et de jugement. Il est malpropre, ambitieux, inquiet, changeant, hardi, présomptueux et irrésolu. Il sait le latin, le grec, hébreu, l’arabe ; et ne sait pas vivre. »

  1. Œuvres mêlées de M. Chevreau, pag. 40 et 50.
  2. C’est-à-dire M. Morus.
  3. Œuvres mêlées de M. Chevreau, pag. 48.
  4. Là même, pag. 49.
  5. Là même, pag. 409.

MOSYNIENS ou MOSYNŒCIENS [a]. C’est ainsi que l’on nommait certains montagnards qui se logeaient sur des arbres [b], ou dans quelques tours de bois [c] au voisinage du Pont-Euxin [d]. Leurs coutumes étaient si contraires à celles des autres nations, qu’ils faisaient à la vue du public ce qu’on fait ailleurs dans sa maison ; et pour ce qui est des choses que l’on fait ailleurs publiquement, ils les faisaient dans leurs logis [e]. Ils n’exceptèrent point de cette règle renversée l’œuvre de la chair (A). Leur plus haute tour de bois servait de demeure au roi, prince misérable ; car il fallait qu’il terminât tous leurs différens comme juge ; et s’il lui arrivait de mal juger, on l’emprisonnait le jour même, et on ne lui fournissait aucun aliment [f] (B). Leur

  1. C’est-à-dire habitans dans des tours. Voyez Apoll. Argon., lib. II, vs. 1020 et seq. ; et Strabon, ubi infrà.
  2. Strabo, lib. XII, pag. 378.
  3. Id. ibid.
  4. Pompon. Mela, lib. I, cap. XIX, et Dionysius Periegetes, vs. 766.
  5. Apoll. Argon., lib. II, vs. 1020 et sequent.
  6. Tiré d’Apollonius, ibid.