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MORIN.

libraire de Hollande qui le devait imprimer : la mort survint là-dessus, et faucha cette espérance. Il y a deux épîtres dédicatoires dans ce volume : l’une est de l’auteur à Jésus-Christ ; l’autre d’un anonyme [1] à la reine de Pologne, Louise-Marie de Gonzague. Cette princesse anima Morin à ce grand travail, et paya les frais de l’impression. Authori animum ne tanto operi deesset, subsidium ut illud in publicum proferret, regali curâ, regali munificentiâ addidisti [2]. Pendant qu’on parlait de la marier avec un prince, Morin assura que ce mariage ne se ferait pas, et qu’elle était destinée à épouser un monarque. Ce fut l’une de ses plus belles. prédictions. L’auteur de sa Vie la fait fort valoir. At quàm omnibus suis artibus absolutum fuit vaticinium illud Mariæ, tunc principi, nunc verò reginæ Poloniæ ab Morino editum ! De futuro ipsius conjugio cum illustrissimo principe didebatur rumor, quod quidem potissimùm illi fuisset, ac plurimæ dignitatis : nihilominùs tamen haud ineundum fore noster asseruit, cùm regem ei conjugem astra pollicerentur [3]. Je croirais sans peine qu’il eut la hardiesse d’avancer cette prédiction ; car outre que cette princesse était un parti royal, et qu’il y avait assez d’apparence qu’elle épouserait un roi, il faut savoir que Morin avait naturellement beaucoup de témérité, et qu’il savait bien se ménager plusieurs portes de derrière en cas que ses prédictions se trouvassent, fausses [4]. D’ailleurs cette dame ajoutait beaucoup de foi à l’astrologie, et c’est à de telles gens que les astrologues promettent plus hardiment les dignités. L’abbé de Marolles, qui la connaissait à fond, mérite d’être cité. Une autre fois, dit-il, [5], parlant contre l’astrologie judiciaire chez madame la princesse, qui avait beaucoup d’inclination à l’admettre, à cause de l’expérience et de la satisfaction qu’il y avait de connaître les choses futures par son moyen, j’eus contre moi non-seulement son secrétaire, qui était homme d’esprit, et verse dans cette science, et son premier médecin, Augustin Corade, qui exerce son art avec tant de bonheur, mais aussi M. l’abbé de Belozane et quelques autres. Il ne faut plus s’étonner de ses dépenses pour un livre dont l’auteur l’avait flattée de l’espérance d’une couronne qu’elle porta effectivement. C’est peut-être à cette promesse astrologique qu’elle faisait allusion, lorsqu’elle fit la réponse que l’on va lire. Elle fut au palais d’Orléans, où comme l’abbé de la Rivière lui eut dit qu’il avait souhaité passionnément de la voir femme de Monsieur, elle lui reparut en riant que Monsieur n’était pas roi, et qu’elle était destinée pour être reine [6]. L’abbé de Marolles raconte cela, lorsqu’il rapporte les visites qu’elle fit après la cérémonie de son mariage avec le roi de Pologne.

(L) Il disait que l’Antechrist était né. ] Et même qu’il allait paraître, et qu’en peu de temps il achèverait les conquêtes que la tradition lui promet. Quand on demandait à Morin comment il serait possible que l’Antechrist s’emparât sitôt de tant de villes fortifiées, il fera tomber des nues, répondait-il, une armée de magiciens qui égorgeront les soldats et les habitans : presque la moitié des hommes, ajoutait-il, sont magiciens, comme l’assurent ceux qui ont été au sabbat, et tous les magiciens sont hommes de guerre. Eccui enim jam fabula, non es ob famosam illam non modò adventantis, sed etiam jam pro foribus existentis Antichristi prædictionem ; de quâ dùm ex te quæreretur, qui posset tam citò, ac ipse efferres, expugnare Antichristus tot arces munitissimas ; solitus fuisti excipere ; cùm ex relatu eorum, qui ex sabbatis magorum adveniunt, dimidia penè hominun pars in magis si, ac magi omnes milites sint, qui Sathanæ nomen dedere, quique ab Antichristo, tanquàm summo duce deducendi in militiam sunt ; fore, ut cùm volet Antichristus expugnare urbes, quæ spontaneam sui deditionem non fecerint, eam magorum nubem emittat sursùm in aërem, quæ supernè irruens stragen tam civium, quàm mi-

  1. Qui désigne son nom par ces lettres G. T. D. G. V.
  2. Epist. dedicat.
  3. Vita Morini, pag. 14, num. 72.
  4. Voyez la remarque (I), au 2e. alinéa.
  5. Mémoires, pag. 148, à l’ann. 1643.
  6. Là même, pag. 166, à l’ann. 1645.