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MORIN.

préparatifs du voyage. Il y avait dans son jardin quatre bons cadrans où l’on observa pendant demi-heure les approches de la minute choisie, et l’on monta en carrosse justement lorsque l’ombre des cadrans était sur le point de toucher à cette minute. Ils arrivèrent heureusement à Antibes ; lorsque M. de Chavigny, qui en était comte, voulut retourner à Paris, il fut averti par son astrologue qu’il fallait choisir au ciel l’heure du départ. Il ne fut pas moins docile que la première fois. Il fit préparer toutes choses avec tant d’exactitude que lui et sa suite montèrent à cheval précisément à quatre heures vingt-sept minutes du matin, le 2 juillet [1]. Le retour fut fort heureux, le maître et ses domestiques et ses chevaux se portèrent bien malgré la chaleur de la saison. Mais quand il fut à Paris, il découvrit quelques trames de cabinet contre sa fortune. On l’accusait entre autres choses d’avoir amené avec lui un astrologue afin de consulter l’avenir sur la destinée du roi et sur celle de la reine et sur celle du cardinal Mazarin, etc. [2]. Comme il vit que ses adversaires l’avaient rendu fort suspect, il demanda deux fois à Morin si les astres le menaçaient de quelque infortune. Morin l’assura que non, et lui conseilla d’aller voir le cardinal ; mais il l’avertit que toutes les heures n’étaient pas bonnes, et qu’il lui en choisirait une par les règles de l’astrologie. Il lui marqua l’heure où la dixième maison, qui est celle des dignités, allait très-bien [3]. Chavigny prit ses mesures là-dessus, et fut bien reçu du cardinal [4]. Je ne rapporte toutes ces choses, qu’afin qu’on voie les faiblesses de ceux qui sont au timon. La destinée des peuples et des royaumes est entre leurs mains, pendant que la leur dépend des caprices et des visions d’un astrologue. Leurs passions et leurs idées ont ordinairement plus de part au gouvernement que les volontés du monarque, parce qu’ils lui inspirent adroitement de vouloir ce qu’il leur plaît. Ainsi, lorsqu’ils se conduisent par les conseils d’un astrologue, ne peut-on pas dire que le bonheur et que le malheur des peuples dépend de cet astrologue ? Ce secrétaire d’état fut nommé, l’an 1645, à l’ambassade de Munster [5]. Peut-être y aurait-il amené Morin, pour savoir de lui quand il faudrait présenter tel ou tel mémoire, telle ou telle réponse. N’eût-ce pas été s’exposer à perdre mille bonnes occasions d’avancer la paix générale, si nécessaire à toute l’Europe ? Morin faisait tant de cas du dogme des élections [6], qu’il ne croyait pas qu’il y eût rien de plus utile aux monarques, ou à leurs premiers ministres, qu’un conseil de trois astrologues qui eussent les figures de nativité, non-seulement de tous les princes voisins, mais aussi de tous les grands de la cour [7]. Par ce moyen, disait-il, on saurait le temps favorable à commencer une guerre, et quel serait le prince allié qui agirait le premier, et quels généraux il faudrait choisir. On n’en donnerait pas la première pointe, comme l’on fait ordinairement, à un prince malheureux ; on ne prendrait pas l’année qui lui est la plus contraire, et qui est la plus propice au prince ennemi : on ne donnerait pas le commandement des armées à des généraux infortunés : et ce que je dis, ajoute-t-il, de la guerre, se doit appliquer au mariage des rois, aux ambassades, etc. Venons à la fausseté de ses prédictions touchant le comte de Chavigny.

Il lui avait prédit une maladie, et non pas l’emprisonnement : néanmoins M. de Chavigny ne fut point malade, et fut arrêté prisonnier. Voici comment on excuse cet astrologue : on prétend qu’il avait prévu et la prison, et la maladie, et qu’il penchait plus à décider pour la prison, mais qu’il fit néanmoins tout le contraire, parce que M. de Chavigny

  1. Fuerant rursùs omnia pro discessu parata ad ipsum momentum, exspectavitque mecum illustrissimus dominus in suo cubiculo, fenestris ad orientem apertis donec solem ortum conspexit, tuncque sine morâ conscendit equun cum toto comitatu. Morin., Astrolog. gallica, pag. 782.
  2. Ibidem, pag. 783.
  3. Ibidem, pag. 784.
  4. Ibidem.
  5. Ibidem, pag. 779. Cette nomination fut révoquée.
  6. C’est ainsi que les astrologues appellent le choix des temps selon les aspects des planètes, et selon le thème du ciel.
  7. Morin, Astrolog., gallica, cap. III, pag. 773.