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MOLSA.

aussi l’automne des vraies beautés est agréable : toutefois les perfections de l’esprit surpassèrent beaucoup celles du corps, ayant égale les plus célèbres personnages en vertu et en doctrine. Elle n’a pas aussi été à aucune emme en honnêteté et en modestie, dont elle a fait toujours profession, avec d’autant plus de gloire et d’avantage, qu’elle a été honorée de la visite des plus excellens hommes de diverses nations [1], qui ayant ouï faire un grand récit de ses rares vertus, et de ses mérites, ont voulu satisfaire à leur curiosité et sont venus de bien loin pour la voir et lui parler, comme à une merveille de son siècle. Cette vanité, qui flatte si doucement l’esprit de son sexe, n’a jamais touché le sien : au contraire, elle fuyait avec une grande sagesse et modestie Les occasions qui la pouvaient faire paraître ; préférant une vie retirée du monde, à l’état que ses qualités extraordinaires lui pouvaient apporter ; le tempérament qu’elle y avait trouvé ne sentait ni la présomption de soi-même, ni le mépris d’autrui. Ces paroles sont du minime Hilarion de Coste ; mais elles ne sont que la traduction de l’italien du chanoine de Latran. Appliquez ceci aux citations que vous allez lire de ce même moine.

(B) Elle mérita d’être comparée avec Artémise. ] J’en parle ainsi sous la caution d’un grand philosophe : Proh dolor ! dit-il [2], postquàm maritus tuus Paulus Porrinus, virorum optimus ad superos migravit, Musas omnes ac Gratias, luctu ac tenebris obduxisti. Artemisiam alteram te factam dolemus. Fuit quidem illi tibi maritus incomparabilis. Sed et tu uxor illi incomparabilis et admiranda. Da locum prudentiæ, ac fortitudini tuæ, da finem lachrymis. L’épître dédicatoire dont j’ai tiré ces paroles n’est point datée ; mais le livre où elle se trouve fut imprimé à Bâle, l’an 1581.

(C) Son père..... la fit instruire par les plus excellens maîtres qu’on put trouver. ] « [3] Camille Molsa, chevalier de ordre de Saint-Jacques d’Espagne, qui était fils du grand François-Marie Molsa de Modène, orateur et très-excellent poëte latin et italien...ayant remarqué dès sa jeunesse la bonté et l’excellence de son esprit, l’envoya avec ses frères pour apprendre les principes de la grammaire. Jean Politiano, natif de Modène, très-docte en toutes les sciences, très-vertueux et de sainte vie, fut son maître. Elle apprit encore les lettres humaines, à bien écrire, et à composer correctement sous la conduite de Lazare Labadimi, célèbre grammairien de ce temps-là, comme elle l’a élégamment réduite en pratique par ses compositions en prose et en vers latins. Elle se rendit savante en la rhétorique d’Aristote sous Camille Corcapani. Le mathématicien Antoine Guarini, lui enseigna la sphère. Elle apprit la poésie de François Patricio, philosophe fameux, la logique et toute la philosophie de P. Latoni, et du même, l’entière et la parfaite connaissance de la langue grecque. Rabbi Abraham lui enseigna les principes de la langue hébraïque. L’aïeul de ce rabbin avait appris la même langue au grand Molsa, l’aïeul de Tarquinie, ensuite de quoi, par ses propres soins et l’inclination que ces grands hommes voyaient en son esprit pour l’étude, elle y fit un notable progrès, jusque-là que les plus subtiles questions de la théologie ne lui étaient point difficiles. Jean-Marie Barbier, homme de grand savoir et fort judicieux, la forma dans la politesse de la langue toscane, en laquelle elle a non-seulement composé plusieurs vers faciles et élégans, mais aussi diverses lettres et autres œuvres fort estimées par les plus polis et les plus savans d’Italie. Avec ses inventions particulières elle a mêlé quantité de traductions d’œuvres grecques et latines, dans lesquelles elle a exprimé si heureusement et si proprement les pensées des auteurs, qu’elle a mis ses lecteurs en doute si elle n’avait pas une

  1. Confirmons cela par ces paroles de François Patrice, discussionum peripateticarum epist. dedicatoria : Elegantes ac docti viri quique non cives tantùm tui, sed quotquot Italia, quotquot Europa protulit, Mutinam visunt, ut te Mutinæ visant, ut mirentur, ut colant, cerebrum Jovis penè supremi alteram Minervam.
  2. Francisc. Patricius, ibid.
  3. Hilar, de Coste, Éloges des Dames illustres, tom. II, pag. 799, 800, et suiv.