Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/447

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
437
MILLETIÈRE.

aux puissances la cause des réformés [1].

(B) On l’envoya à Toulouse, où après des douleurs de la question, et un long emprisonnement. ] Il nous apprend lui-même une circonstance bien particulière de son procès. J’ai vu dans mes mains, dit-il [2], l’arrêt de ma mort, dressé de la main du premier président Masuyer sous l’autorité du parlement de Toulouse, auquel je me lisais condamné comme atteint et convaincu des cas à moi imposés ; et cet arrêt mis dans les mains du greffier, avant qu’en la délibération du parlement, qui par son interlocutoire, donna lieu à l’attente, qui tira depuis, des mains de l’autorité souveraine, ma conservation et ma délivrance.

(C) Il fit imprimer plusieurs livres sur la réunion des religions. ] Il commença par une lettre qu’il publia en français, l’an 1634. Elle fut suivie deux ans après par un ouvrage latin divisé en deux parties. Il examina dans la première la dispute de la primauté de saint Pierre, celle de la justification, celle de la prière pour les morts, celle de l’invocation des saints, et celle de l’eucharistie. Dans la seconde, il traita de la nature et de la grâce, et de la prédestination. Il envoya cet écrit aux plus habiles ministres. On y fit plusieurs réponses. Celle de M. Dumoulin fut piquante. Il y fit une réplique en français que Grotius ne méprisa pas [3]. Je crois que personne ne réfuta mieux que M. Daillé le second ouvrage de la Milletière. Sa réponse est intitulée : Examen de l’Avis de M. de la Milletière sur l’Accommodement des différends de la religion. Il la publia eu latin et en français, l’an 1636. Cet Examen fut réfuté par M. de la Milletière, et cette réfutation obligea M. Daillé de composer une Apologie ; mais il ne la publia point [4]. Son adversaire fit imprimer un nouvel ouvrage après la tenue du synode national d’Alençon, l’an 1637, sous le titre de Moyen de la Paix chrétienne en la réunion des catholiques et évangéliques sur les Différends de religion [5]. Il en publia dans la suite plusieurs autres dont il n’est pas important de marquer les titres. Je dirai seulement qu’il devint si pointilleux, qu’il fit une apologie de la méthode du père Véron. Il croyait l’avoir soutenue par des raisons à quoi nul ministre ne pouvait répondre : c’est de quoi il se vante page 9 de son Catholique Réformé imprimé à Paris l’an 1642.

Voyons le jugement qu’a fait de lui l’historien de l’édit de Nantes [6] : « La Milletière était un évaporé, plein de lui-même, et persuadé que rien n’approchait de son mérite et de sa capacité. D’ailleurs, ou la crainte que la cour, se souvenant du passé, ne lui fît des affaires, ou l’espérance d’acquérir beaucoup de gloire, et de faire quelque grande fortune par le succès de cette entreprise, ou les louanges que les Jésuites lui donnaient pour l’attirer dans leur parti, lui gâtèrent l’esprit : de sorte qu’il entra tout-à-fait dans le projet du cardinal, et qu’il dressa un plan d’accommodement justement dans les termes que ce prélat désirait [* 1]. Il donnait le droit à l’église romaine presque en toutes choses ; et, dans celles qu’il ne se donnait pas la peine de justifier, il se servait d’expressions adoucies, sous prétexte de les expliquer, et il les faisait passer pour des questions qui ne devaient pas empêcher les réformés de se réunir. »

(D) On ne niait pas qu’il ne fût

  1. * Leclerc reproche à Benoist, auteur de l’Histoire de l’Édit de Nantes, et par contre-coup à Bayle, d’avoir dit que la Milletière écrivit justement suivant les termes que le cardinal désirait ; mais l’auteur des Éloges de quelques Auteurs français, 1742, in-8o., après avoir, pages 285-86, cité un passage d’Ancillon, qui confirme le dire de Benoist, met en note, pag. 286 : « L’abbé Leclerc se trompe en assurant que le cardinal de Richelieu ne prenait aucune part à ce que faisait la Milletière, en fait de concorde et de pacification, »
  1. Grotius, epist. CLXXIV, part. I, pag. 65. Voyez aussi la lettre CLXXV.
  2. La Milletière, au chap. XII du Cathol. réformé, pag. 197, 198.
  3. Molinæus diù expectato missum ad se librum excepit duro responso, ut et priorem fecerant tàm ipse tùm Rivetus. Rescripsit Mileterius Molinæo salsè satis, quippè Gallico sermone quo plus valet, et quædum dixit ad Molinæum pertinentia non vanè. Grotius, epistola DXLI, inter Epist. ecclesiast, et theol., pag. 793, edit. in-fol.
  4. Vie de M. Daillé, pag. 21.
  5. Histoire de l’Édit de Nantes, tom. II, liv. X, pag. 515.
  6. Histoire de L’Édit de Nantes, tom. II, liv. X, pag. 514, 515.