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MACHIAVEL.

dont le but a été plutôt d’enseigner le prince à se faire craindre qu’aimer : et à régner en grandeur, qu’à bien régner, et de fait, on peut bien appeler ce livre-là l’évangile de la reine-mère. Car encore qu’elle se couvre de la religion communément reçue, si voit-on par effet qu’elle n’en a  qu’autant qu’elle estime nécessaire pour se maintenir. Aussi son principal conseiller Morviliers a toujours ce beau chrétien livre au poing, pour en faire souvent leçon à sa maîtresse, et ne l’abandonne non plus qu’Alexandre faisait son Homère. En somme, il est vraisemblable que c’est de là en partie que cette tyrannique institution a été tirée, et que la reine y a puisé ses principaux artifices pour persuader au roi que, non-obstant toutes promesses de paix, et d’amitié, voire tout lien de consanguinité, il se pouvait venger furieusement de tous ceux qu’il estimait ses ennemis, en prenant quelque léger soupçon (voire s’il faut appeler soupçon une calomnie forgée à plaisir) pour suffisante preuve. Davila rapporte que Corbinelli lisait souvent le Prince et les Discours de Machiavel au duc d’Anjou, qui fut ensuite le roi Henri III [1].

(O) Quelques-uns…... le regardent comme un écrivain fort zélé pour le bien public. ] Cela sent un peu le paradoxe ; c’est pourquoi il faut rapporter un peu au long les propres paroles d’un célèbre jurisconsulte, qui a jugé si avantageusement du but de Machiavel. Je les accompagnerai d’une espèce de préface empruntée d’un autre savant, afin de fournir tout d’un coup deux témoins considérables, Albéric Gentilis, et Christophle Adam Rupertus. Ego verò non possum hic præterire, qui cane pejùs et angue odisse soleo conceptas de auctoribus opiniones, accuratissimi icti ac dignissimi censoris judicium l. 3. de legationib. c. 9, ubi legatum suum ex philosophiâ instruens, nec verò, inquit, in negotio isto vereboromnium præstantissimum dicere, et ad imitandum proponere Machiavellum, ejusque planè aureas in Livium observationes. Quòd namque hominem indoctissimum esse volunt et scelestissimum, id nihil ad me, qui prudentiam ejus singularem laudo, nec impietatem ac improbitatem, si qua est, tueor. Quanquàm si librum editum adversùs illum considero si Machiavelli conditionem respicio, si propositum scribendi suum rectè censeo, si etiam meliori interpretatione volo dicta ipsius adjuvare, non equidem video cur et iis criminibus mortui hominis fama liberari non possit. Qui in illum scripsit (intelligit Innocentium Gentilletum ictum Delphinensem) illum nec intellexit, nec non in multis calumniatus est, et talis omninò est qualis, qui miseratione dignissimus sit Machiavellus democratiæ laudator et assertor acerrimus : natus, educatus, honoratus, in eo reip. statu ; tyrannidis summè inimicus. Itaque tyranno non favet ; sui propositi non est tyrannum instruere, sed arcanis ejus palàm factis ipsum miseris populis nudum et conspicuum exhibere. An enim tales, quales ipse describit principes, fuisse plurimos ignoramus ? Eccur istiusmodi principibus molestum est, vivere hominis opera, et in luce haberi. Hoc fuit viri omnium præstantissimi consilium, ut sub specie principalis eruditionis populos erudiret. Hæc Albericus Gentilis [2]. Allongeons un peu le passage ; car il me semble que Rupert en a supprimé une portion qui mérite d’être connue. La voici : Et eam specient prætexuit, ut spes esset, cur ferretur ab his, qui rerum gubernacula tenent, quasi ipsorum educator, ac pædagogus. Cæterùm hæc disceptatio ulteriùs haud ducitur, Si favere scriptoribus volumus, multa et in hoc vitia emendabimus aut illa saltem feremus in eo, quæ in Platone ferimus, et Aristotele, aliisque, qui non dissimilia commisêre peccata. Feremus autem, quia meliora deterioribus longè plurima et is habet [3]. Il y a deux choses à considérer dans cette dernière partie du passage d’Albéric Gentilis. Il veut, 1°. Que Machiavel ait pris cette route d’instruire les peuples afin que les

  1. Voyez, tom. V, pag. 293, citation (b) de l’article Corbinelli.
  2. Christoph. Adamus Rupertus, Dissertat ad Valer. Maximum, lib. I, cap. II et III, pag. 50.
  3. Alber. Gentilis, de Legationibus, lib. III, cap. IX.