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MACHIAVEL.

rite d’être lue [1] : elle sert d’apologie à Machiavel, et traite l’inquisition comme il faut. La traduction dont j’ai parlé, où l’on voit des vers du sieur des Essars, est sans doute celle de Jacques Gohory. Elle contient le Traité du Prince, et les Discours sur Tite-Live ; et elle fut imprimée à Paris, l’an 1571, in-8o. C’était une seconde édition retouchée fort soigneusement, et beaucoup meilleure que la précédente. L’auteur ne mit pas son nom à la première : mais il le mit à la seconde, pour empêcher que sa traduction des Discours de Tite-Live ne lui fût dérobée par l’un [2] des deux autres traducteurs du Prince [3]. On dit que le prince de Machiavel a été traduit en turc, et que Sultan Amurath IV le lisait en cette langue [4].

(I) On prétend que la vie de Castrucio Castracani fut écrite de mauvaise foi. ] Vossius touche cela en peu de mots. Machiavellus, dit-il [5], planè multa comminuscitur in Vitâ Castrucii : Nempè quia is hostis fuisset reipublicæ florentinæ. Paul Jove se plaint vivement de cette supercherie de Machiavel. C’est dans l’éloge de Nicolas Tégrimus, jurisconsulte et historien de Lucques, qui a décrit fort exactement les actions de Castracani. Sed Machiavellus Florentinus historicus, patri veteris odii memor, petulanti malignitate, non interituram memorabilis ducis famam fabulis involvit, quùm vitam acerrimi hostis etrusco sermone scribere orsus, tàm impudenti, quàm astuto illudendi genere, sacrosanctam rerum gestarum fidem corruperit [6].

(K) .... Et on fait le même jugement de son Histoire de Florence. ] J’ai déjà parlé de cet ouvrage [7], et j’ajoute que Jérôme Turlérus, jurisconsulte allemand, en fit imprimer le premier livre, l’an 1564. Il le traduit en latin ; et comme Machiavel explique dans cette première partie de son ouvrage, les révolutions que l’empire romain souffrit par les irruptions des peuples barbares, le traducteur en prend occasion de faire une Épître dédicatoire, toute remplie de mystères astrologiques et numéraux, qui faisaient périr la religion mahométane au bout de cent ans, et marquaient la fin du monde [8]. Lazare Zetznérus, libraire de Strasbourg, ayant vu que la traduction latine du premier livre se vendait bien, et se réimprimait de temps en temps, fit traduire le reste en la même langue, et publia cette histoire toute entière avec la vie de Castracani. L’édition dont je me sers est de l’année 1610, in-8°.

Jacques Gohory débite que cette histoire de Florence a été descripte en telle singularité et perfection, que feu Milles Perrot, maistre des comptes, mon proche parent (personnage en son temps des plus scavans de ce royaume en diverses langues et sciences), l’ayant cotté plus diligemment de sa main que son Tite-Live et Cornélius Tacitus, me dit qu’il estimoit plus de proffit en sa lecture estant accommodée à l’humeur de nostre temps, qu’en celle de ses grandz historiens antiques tant eslongnée de noz meurs et façons et present usage [9].

(L) Voici quelques contes touchant son irréligion. ] Si j’avais voulu rapporter tous ceux que l’on débite là-dessus, j’aurais eu un très-beau champ. Voici l’un de ces contes : « On arrive à ce détestable point d’honneur, où arriva Machiavel sur la fin de sa vie : car il eut cette illusion peu devant que rendre son esprit. Il vit un tas de pauvres gens, comme coquins, déchirés, affamés, contrefaits, fort mal en ordre, et en assez petit nombre ; on lui dit que c’étaient

  1. Voyez M. de Beauval, 1691, pag. 483, et la Bibliothéque universelle, tom. XX, pag. 328. M. Beughem, Bibliographiæ, consp. II, pag. 192, se trompe en disant que la traduction dont parle la Bibliothéque universelle, même, est de M. Amelot.
  2. Guillaume Cappel, fils aîné de l’avocat du roi, et médecin, a traduit le Prince de Machiavel, imprimé en 1553. Voyez la Croix du Maine, Bibliothéque française, pag. 144.
  3. Voyez l’épitre dédicatoire du Prince, et celle des Discours sur Tite-Live, traduits par Gohory.
  4. Sagredo, Memorie Historiche de’ Monarchi Ottomani. Ce livre fut imprimé à Venise, l’an 1673.
  5. Vossius, de Arte historicâ, c. X, p. 56.
  6. Jovius, Elog., cap. CXLI, p. m. 283.
  7. Dans la remarque (D).
  8. Centro excentrici ad alterum terminum mediocrem perveniente, speramus adfuturum Dominum nostrum Jesum Christum, nam hoc loco circà creationem mundi fuit.
  9. Gohory, épître dédicatoire des Discours sur Tite-Live.