Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
27
MACHIAVEL.

nablement que lui, et que les plus scrupuleux, qui les ont blâmées tandis qu’ils étaient personnes privées, les ont étudiées et pratiquées lorsqu’ils ont été appelés au maniement des affaires publiques [1]. » M. Amelot, ayant cité ces paroles de M. de Chanvalon, les confirme tout aussitôt par un exemple. L’Allemagne, dit-il [2], en a vu tout récemment un bel exemple dans le dernier évêque de Vienne, qui, lorsqu’il n’était que le père Émeric in puris naturalibus, invectivait dans tous ses sermons contre les maximes de la politique, jusqu’à ne croire point de salut pour ceux qui les mettaient en usage : mais qui, dès qu’il fut introduit à la cour de l’empereur, et poussé dans le ministère, changea d’opinion, comme de fortune, et pratiqua lui-même (mais plus finement) tout ce qu’il condamnait auparavant dans ses prédécesseurs, les princes d’Aversberg et de Lobkowitz, dont il avait procuré la disgrâce, et dans le comte Augustin de Walstein, son concurrent à l’évêché de Vienne et au cardinalat [* 1].

Il faut dire quelque chose de l’ouvrage qui fut composé par Innocent Gentillet, contre celui de Machiavel. Il a pour titre dans l’édition dont je me sers [3], Discours sur les moyens de bien gouverner et maintenir en bonne paix un royaume ou autre principauté, divisés en trois livres : à savoir du Conseil, de la Religion, et Police que doit tenir un prince. Contre Nicolas Machiavel Florentin. Il est dédié au duc d’Alençon, frère du roi Henri III. On n’y voit ni le nom de l’auteur, ni celui de l’imprimeur, ni celui du lieu où il a été imprimé ; mais seulement la date 1576. Ce livre est cité ordinairement comme s’il était intitulé Anti-Machiavel : cette citation est plus courte que celle du véritable titre ; et c’est ce qui a fait naître le titre Anti-Machiavel [* 2]. Consultez M. Baillet [4].

Je me persuade que ce que je vais citer du sieur de la Popelinière se rapporte au traité de Gentillet. Il blâme la tolérance que l’on avait pour les livres du Florentin, remplis de maximes pernicieuses ; et puis il ajoute [5] : « Or puis que les magistrats chrestiens connivoient à si prejudiciables escrits : Un gentil esprit se reveilla parmy les François, pour en confuter les erreurs et impietez qu’il jugeoit trop ouvertes et si favorisées par le commun. Mais avec si pauvre succez, que pour ne se fonder qu’en auctoritez et assez mal propres exemples (dont les deux parties se peuvent ayder, et que le Florentin appelle ridicules) et se faire veoir despourveu de vives raisons qui sont les vrayes armes avec lesquelles il appelle tout le monde au combat : que le pauvre auteur n’a sceu tirer pour recompense de tant de peines à defendre l’estat, la religion, et le devoir de tous ensemble : qu’injures et menaces au lieu des honneurs et autres dignes salaires que meritoit un tant affectionné et laborieux travail. » Si l’on jugeait du mérite d’un ouvrage par la multitude des éditions et des traductions, celui de Gentillet pourrait prétendre à un haut degré de gloire ; car il a été traduit en diverses langues, et imprimé plusieurs fois. L’édition de Leyde, 1609, porte qu’il avait été augmenté de plus de la moitié. L’épître dédicatoire en a été retranchée.

Si nous avions tout entier l’ouvrage dont on publia une partie l’an 1622, nous aurions peut-être ce qui a été fait de meilleur sur le Prince de Machiavel. Cette partie tout entrecoupée de lacunes est intitulée, Fragment de l’examen du Prince de Machiavel : où il est traité des confidens, ministres, et conseillers particuliers du prince, ensemble

  1. (*) Dans une Relation manuscrite de la cour de Vienne, d’un prince allemand.
  2. * Il existe encore sous le même titre d’Anti-Machiavel, un ouvrage du roi de Prusse, connu sous le nom de Frédéric-le Grand, et qui n’était alors que prince royal. Voltaire en fut l’éditeur.
  1. M. de Harlai Chanvalon, Préface de la traduction de Tacite.
  2. Dans son Discours critique, au devant de la Morale de Tacite, imprimée l’an 1686. Il l’a mis depuis au-devant de sa traduction française des six premiers livres des Annales de Tacite.
  3. Elle est in-8°.
  4. Au IIe. tome des Anti, pag. 120 et suiv.
  5. La Popelinière, Histoire des Histoires, liv. VII, pag. 405, 406.