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MAROT.

Je ne sais point les circonstances de la fin de ce procès : je crois pourtant que le roi et la princesse Marguerite protégèrent notre poëte. Ne me dites point qu’il est constant que la lettre [1], qu’il écrivit à François Ier., le 15e. jour de sa prison, fut très-bien reçue, et que ce prince en fut si charmé qu’il écrivit lui-même à la cour des aides pour faire obtenir la liberté à Clément Marot [2] ; car cela regarde un autre emprisonnement où il n’était point question d’hérésie, et qui fut postérieur au retour du roi en France. Il est aisé de prouver toutes ces particularités. Marot déclare qu’il est en prison depuis quinze jours, et qu’on l’accuse d’avoir ôté aux sergens un prisonnier [3]. Il paraît par le registre de la cour des aides de Paris, que la lettre de François Ier., touchant l’élargissement de Marot, est datée de Paris, le 1er. de novembre 1527 [4]. Ce prince déclare qu’il a été dûment informé de la cause dudit emprisonnement, qui est pour raison de recousse de certains prisonniers ; et il enjoint que toutes excusations cessantes, on mette Marot hors des prisons ; la cour obéit. Voilà donc une faute à corriger dans le Recueil des plus excellentes pièces des poëtes françois, et dans la nouvelle édition des Œuvres de Clément Marot [5]. La Vie de ce poëte, dans l’un et dans l’autre de ces deux ouvrages, porte que la lettre de François Ier. à la cour des aides tira Marot de la prison où il avait été mis pour des soupçons d’hérésie. La cour des aides se mêlait-elle de cela ? Ceci nous doit tenir avertis nous autres qui écrivons la vie des particuliers, qu’il importe de faire attention aux plus petites circonstances.

(F) Il n’eut pas le courage de retourner à Paris. ] Il faut l’entendre lui-même : il nous dira qu’il y retournait ; mais qu’il rebroussa chemin lorsqu’on lui eut fait comprendre qu’on avait prévenu le roi. Les vers que je cite sont dans une lettre qu’il écrivit à ce monarque.

Pour revenir donques à mon propos,
Rhadamanthus aveques ses supposts
Dedans Paris, combien que fusse à Blois,
Encontre moy fait ses premiers exploits,
En saisissant de ses mains violentes
Toutes mes grandes richesses excellentes,
Et beaux tresors, d’avarice delivres :
C’est à savoir mes papiers, et mes livres,
Et mes labeurs. O juge sacrilege,
Qui t’ha donné, ne loy, ne privilege,
D’aller toucher, et faire tes massacres
Au cabinet des saintes muses sacres ?
Bien est-il vray que livres de deffense
On y trouva : mais cela n’est offense
A un poete, à qui on doibt lascher
La bride longue, et rien ne lui cacher [6].
.......................
Le juge donc affecté se monstra
Et mon endroit, quand les premiers outra
Moy qui estois absent, et loing des viles,
Où certains fols feirent choses trop viles,
Et de scandale : hélas ! au grand ennuy,
Au detriment, et à la mort d’autry.
Ce que sçachant, pour me justifier,
En ta bonté je m’osay tant fier,
Que hors de Blois party, pour à toy, Sire,
Me presenter ; mais quelqu’un me vint dire,
Si tu y vas, amy, tu n’es pas sage :
Car tu pourrois avoir mauvais visage
De ton seigneur. Lors comme le nocher,
Qui pour fuir le peril d’un rocher
En pleine mer se destourne tout court,
Ainsi pour vray m’escartay de la court :
Craignant trouver le peril de durté,
Où je n’euz onc fors douceur et seurté [7].


Notez qu’il commence cette lettre par représenter que sa fuite n’est point une preuve qu’il se connaisse coupable, mais seulement qu’il est convaincu de la mauvaise administration de la justice.

Je pense bien que ta magnificence,
Souverain roy, croira que mon absence
Vient par sentir la coulpe, qui me point
D’aucun mesfait ; mais ce n’est pas le poinct.
Je ne me sens du nombre des coulpables ;
Mais je sçay tant de juges corrompables
Dedans Paris, que par pecune prinse,
Ou par amis, ou par leur entreprinse,
Ou en faveur et charité piteuse
De quelque belle humble soliciteuse
Ilz sauveront la vie orde et immunde
Du plus meschant, et criminel du monde :
Et au rebours, par faute de pecune,
Ou de support, ou par quelque rancune,
Aux innocens ilz sont tant inhumains,
Que content suis ne tomber en leurs mains.
Non pas que tous je les mette en un compte :
Mais la grand’ part la meilleure surmonte.
Et tel merite y estre authorisé,
Don le conseil n’est ouy, ne prisé.
Suivant propos, trop me sont ennemys
Pour leur enfer, que par escrit j’ay mis,
Ou quelque peu de leurs tours je descœuvre,
Là me veult on grand mal pour petit œuvre ;
Mais je leur suis encor plus odieux,

  1. Elle est à la page m. 149 de ses Œuvres.
  2. Vie de Clément Marot, dans le Recueil des plus excellentes pièces des Poëtes français, tom. I.
  3. Voyez sa Lettre au roi, pag. 149.
  4. Voyez l’Anti-Baillet de M. Ménage, ch. CXII.
  5. Celle de la Haye, 1700.
  6. Marot, Épître au Roi, du temps de son exil à Ferrare, pag. 179.
  7. Là même, pag. 180.