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MARIE.

tione suâ falli ; eò quòd Moses præstantissimus, fidelissimus, Deoque familiarissimus sit propheta, cui nec quis alius comparari possit [1]. Cette supposition de Tostat rejoint les pièces décousues, et dissipe les obscurités du raisonnement de l’historien sacré. Notez qu’il y a des commentateurs qui soutiennent que Séphora pouvait fort bien être appelée Éthiopienne, quoiqu’elle fût d’Arabie [2]. Mais d’autres prétendent [3] que les LXX interprètes et l’auteur de la Vulgate n’ont point compris le vrai sens du mot hébreu qu’ils ont traduit par Éthiopienne. Notez aussi que ce chapitre du livre des Nombres est propre à prouver que la qualité de prophétesse qui est donnée à Marie dans le chapitre XV de l’Exode, lui convenait proprement, et selon la signification la plus relevée ; c’est-à-dire qu’elle avait part aux inspirations d’en haut [4].

(D) La même clause touchant la mort de Marie que touchant celle de ses deux frères. ] Cette clause, dans la version de Genève, signifie qu’Aaron et Moïse moururent selon le mandement de Dieu ; mais les juifs prétendent qu’elle signifie à la bouche de Dieu, comme si le souffle de Dieu avait doucement attiré leur âme. Ils ajoutent que Marie ne mourut pas de cette façon, et que cela n’est pas convenable au sexe féminin, et que le ver n’a point de puissance sur ceux qui meurent de la sorte. Que d’impertinences ! De Mose quidem, Deut. cap. xxxiv. v. 5 ; de Aarone autem, Num. cap. xxxiii, v. 38, dicitur, quod mortui sint על פי יהוה ad os, i. in osculo, Domini, quasi anima eorum ipsius Dei halitu suavissimè rapta fuerit. De eorum sorore Mirjam dicunt, eam mortuam quidem בכשיקה sed non על פי יהוה ad os Domini, quasi hæc locutio sequiori sexui non conveniat. In hos verò vermem non habuisse potestatem, in libro Jolkut legitur [5]. On sait la superstition païenne qui faisait que les parens appliquaient leur bouche à celle des mourans. Voyez les commentateurs de Virgile sur ces paroles de la sœur de Didon :

.... Et extremus si quis super halitus errat,
Ore legam [6].


Tous ceux qui traitent de Funeribus [7], parlent de cette coutume.

  1. Cornel. à Lapide in Exod., cap. XII, vs. 1, pag. m. 856.
  2. Voyez Cornelius à Lapide, ibidem.
  3. Voyez M. Leclerc sur cet endroit du livre des Nombres.
  4. Voyez Rivet, in Exod., cap. XV, vs. 20, Oper., tom. I, pag. 963.
  5. Lomeierus, Genialium Dierum, decad. I, pag. 337, 338. J’ai corrigé deux fois les chiffres ; il y a dans l’original xxxii au lieu de xxxiv, et xxiii au lieu de xxxiii.
  6. Virgil., Æneid., lib. IV, vs. 684.
  7. Voyez entre autres Kirchmannus de Funeribus Romanorum, lib. I, cap. V.

MARIE l’Égyptienne, fameuse débauchée, et fameuse convertie. À l’âge de douze ans elle sortit de la maison de son père, et s’en alla dans la ville d’Alexandrie. Elle y passa vingt-sept années dans les désordres de l’impureté, et puis elle s’en alla à Jérusalem pour continuer la même vie : mais une puissance invisible l’ayant empêchée d’entrer dans le temple, le jour de l’exaltation de la sainte Croix, elle sentit des remords qui l’obligèrent à se prosterner devant une image de la Sainte Vierge, et à promettre de renoncer à ses débauches. Elle entra ensuite dans le temple, et après y avoir adoré le croix, elle demanda à la Sainte Vierge ce qu’elle ferait pour plaire à Dieu. Elle entendit une voix qui lui ordonna de s’en aller dans le désert. Elle obéit, et fit pénitence dans ce lieu-là quarante-sept ans sans voir personne. Elle y fut servie par les anges les trente dernières années. L’auteur [a], qui me fournit cet

  1. Paul Boyer, écuyer, sieur de Petit-Puy, dans son Dictionnaire servant de Bibliothéque universelle, imprimé à Paris, 1649, in-folio, pag. 254. (où il cite Sophrone, évêque de Jérusalem : Nicéphore Calixte, liv. 8, chap. 5, de son Histoire ; S. Jean Damascène, en sa troisième oraison des Images), et pag. 323.