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MARIE.

réglé de tant de voix sans aucune confusion, quelques interprètes sont persuadés que Dieu fit un autre miracle à l’égard du second, donnant à Moïse une voix assez forte et assez étendue pour se faire entendre de tout le peuple, quelque éloignée que fût de lui une grande partie de cette prodigieuse multitude [1]. »

Notez qu’il y a quelque apparence que M. Hersant n’est pas tout-à-fait du goût du jésuite Ménétrier. Il a fait imprimer un petit livre qui a pour titre : Cantique de Moïse au chapitre XV de l’Exode, expliqué selon les règles de la rhétorique. Il prétend que cette pièce, qui a été composée en vers hébreux, surpasse tout ce que les auteurs profanes ont de plus beau en ce genre, et que Virgile et Horace, les plus parfaits modèles de l’élégance poétique, n’ont rien qui en approche. C’est ce que nous lisons dans Les Nouvelles de la République des Lettres, au mois de mars 1700, pag. 353 ; avec cette circonstance, que M. Hersant est présentement auprès de M. l’abbé de Louvois, et qu’il a été ci-devant professeur en rhétorique au collége du Plessis. On a lieu de croire qu’il regarde le cantique du chapitre XV de l’Exode comme plus beau que celui du chapitre XXXII du Deutéronome, et ce n’est point le sentiment du jésuite Ménétrier. Finissons par censurer une méprise de M. Simon. Il dit que le cantique du chapitre XV de l’Exode fut composé par Marie [2].

(C) Elle se joignit à son frère Aaron pour murmurer contre Moïse. ] L’Écriture rapporte cela en ces termes : Or Marie et Aaron parlèrent contre Moïse à l’occasion de la femme éthiopienne qu’il avait prise, de ce qu’il avait pris une femme éthiopienne, et dirent, voire, l’Éternel a-t-il parlé tant seulement par Moïse ? n’a-t-il point aussi parlé par nous [3] ? Notre siècle est plein de lecteurs qui se plaignent éternellement que l’on n’écrit pas d’une manière assez concise, et qui accusent de prolixité tout auteur qui ne donne pas à deviner le meilleur de ses pensées. Avec un tel goût, ils trouveraient admirables ces deux versets de Moïse, quand même ils ne les croiraient pas inspirés de Dieu ; car les choses y sont exprimées à demi mot, et séparées par un grand vide. Il y manque plusieurs liaisons : c’est à eux à les suppléer ; et puisqu’ils aiment cet exercice, ils ont là de quoi s’occuper agréablement. Les paroles de l’auteur sacré que j’ai rapportées sont équivalentes à celles-ci, Marie et Aaron parlèrent mal de Moïse à cause de son mariage avec une Éthiopienne, et leur médisance fut exprimée de cette façon : N’y a-t-il que lui qui prophétise ? S’il est prophète, nous le sommes aussi. On ne voit pas du premier coup comment la femme de Moïse a été la cause de ces interrogations. Le saut est un peu trop grand du principe à la conséquence : l’esprit se partage en diverses conjectures pour attraper les liaisons ou les rapports de ces choses. Il me semble que le fameux Tostat n’a pas mal conjecturé. Il suppose que Séphora, femme de Moïse s’enorgueillit de la gloire et de l’autorité prophétique de son époux, et en prit sujet de traiter de haut en bas sa belle-sœur, et affecta de relever le mérite de son mari au-dessus de celui d’Aaron. La belle-sœur et le beau-frère ne trouvant point de meilleur moyen de rabattre sa fierté, critiquèrent le mariage de Moïse avec une femme d’une autre nation, et se vantèrent d’avoir part à la prophétie aussi bien que lui. Verisimile est, quod ait Abulens. Sephoram more muliebri (hic enim sexus, cùm sit imbecillis ingenii et judicii, ambitiosus est, et sui honoris studiosus) voluisset se præferre Mariæ, eò quòd uxor esset Mosis, Mosenque, suum, quasi populi ducem, verbis extulisse, ac præposuisse Mariæ et Aaroni : quâ re primùm concitata Maria, deindè Aaron, se erigere cœperunt, volentes se non tantùm Sephoræ, sed et Mosi æquare, jactitando se tam nobiles esse prophetas, quàm erat Moses. Id ita esse, colligitur tum ex v. seq. tum ex v. 6, ubi Deus hanc murmuris causam indicat, et præscindit, docetque eos in ambi-

  1. Ménétrier, Représentat. en musique, pag. 9, 10.
  2. Simon, Dictionnaire de la Bible, p. 514. Notez que ce M. Simon est différent de celui qui a fait l’Histoire critique de la Bible.
  3. Nombres, chap. XII, vs. 1 et 2.