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MARIANA.

ment, que le verbe hébreu bara, qu’on traduit ordinairement créer, ne signifie point selon sa propre signification, faire de rien, comme on le croit ordinairement : et que même les auteurs grecs et latins qui ont inventé le mot créer en leur langue, n’ont pu lui attacher ce sens, d’autant que ce qu’on appelle maintenant création, ou production de rien, leur a été tout-à-fait inconnu. Bien que ses notes soient assez abrégées, il aurait pu éviter quelques remarques qui sont purement d’érudition, et qui ne servent point à l’éclaircissement de son texte. Ces sortes de digressions lui arrivent néanmoins rarement, et l’on peut dire que Mariana est un des plus habiles et des plus judicieux scoliastes que nous ayons sur la Bible. Il est vrai que la connaissance, qu’il avait des langues grecque et hébraïque, n’était que médiocre : mais la pénétration de son esprit et sa grande application suppléent en quelque façon à ce manquement. Il choisit d’ordinaire le meilleur sens, et il n’est pas même ennuyeux dans les différentes interprétations qu’il rapporte [1]. » Dans un autre ouvrage, le père Simon a parlé ainsi [2] : « A l’égard de Mariana, ses notes sur le Nouveau Testament sont de véritables scolies, où il ne paraît pas moins de jugement que d’érudition [3]..... Il serait à désirer que les observations de ce savant homme n’eussent pas été si abrégées. Néanmoins il dit beaucoup de choses en peu de mots. » Voyez aussi ce qu’a dit le même auteur [4] touchant le livre de Mariana pour l’édition vulgate.

(O) Le mal qu’il dit du roi Henri III fut cause en partie que son livre de l’Institution du Prince fut condamné à Paris. ] Cela est manifeste par la teneur de l’arrêt : Vu par la cour... Le livre de Jean Mariana, intitulé de Rege et Regis Institutione, imprimé tant à Mayence [5] qu’aux autres lieux, contenant plusieurs blasphèmes contre le feu roi Henri III, de très-heureuse mémoire ; les personnes et états des rois et princes souverains, et autres propositions contraires audit décret.... Ladite cour a ordonné et ordonne... que ledit livre de Mariana sera brûlé par l’exécuteur de la haute justice, devant l’église de Paris........ Fait en parlement, le 8e. jour de juin 1610. Si Mariana s’était contenté de dire qu’Henri III ternit dans un âge plus avancé toute la gloire qu’il avait acquise dans sa jeunesse, on ne pourrait pas le blâmer ; car il est sûr que jamais prince ne se rendit plus dissemblable à soi-même que celui-là. Felix futurus, si cum primis ultima contexuisset, talemque se principem præstitisset, qualis sub Carolo fratre rege fuisse credebatur adversùs perduelliones copiarum bellique dux : qui illi gradus ad regnum Poloniæ fuit procerum ejus gentis suffragio. Sed cesserunt prima postremis, bonaque juventæ major ætas flagitio obliteravi. Defuncto fratre revocatus in patriam, rexque Galliæ renunciatus, omnia in ludibrium vertit [6]. Il n’y avait pas plus de différence entre Hector victorieux de Patrocle, et son cadavre traîné par un chariot [7] ; qu’entre le duc d’Anjou victorieux à Moncontour, et Henri III obsédé de moines et de mignons, et contraint de quitter Paris au duc de Guise. Les débauches commencèrent à énerver son courage ; la bigoterie acheva de l’efféminer. Ses confréries de pénitens, et leur sac, me fait souvenir de cet endroit de M. Despréaux :

Dans ce sac ridicule où Scapin s’enveloppe,
Je ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope.

Je ne reconnais plus sous ce sac,

  1. Histoire critique du Vieux Testament, liv. III, chap. XII, pag. m. 426.
  2. Histoire critique des principaux Commentateurs du Nouveau Testament, chap. XLII, pag. 637.
  3. Là même, pag. 639.
  4. Histoire critique du Vieux Testament, liv. III, chap. XVIII, pag. 463.
  5. Chez Balthazar Lippius, 1605. Celle dont je me sers est de l’an 1611, typis Wechelianis, apud hæredes Johannis Aubrii.
  6. Mariana, de Rege, lib. I, cap. VI, pag. m. 54.
  7. In somnis, ecce, antè oculos mæstissimus Hector
    Visus adesse mihi, largosque effundere fletus ;
    Raptatus bigis, ut quondàm, aterque cruento
    Pulvere, perque pedes trajectus lora tumentes.
    Hei mihi, qualis erat ! quantum mutatus ab illo
    Hectore, qui redit exuvias indutus Achilles,
    Vel Danaùm Phrygios jaculatus puppibus ignes ?
    Virg., Æn., lib. II, vs. 270.