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MARIANA.

na par Ravaillac, on soutint dans la même lettre que messieurs du parlement savaient par la réitérée déposition du malheureux, que Mariana n’avait en rien contribué à l’exécrable parricide, et ne l’avait pu faire, attendu que ce méchant n’avait suffisante intelligence de la langue en laquelle son livre était écrit. En quoi se découvre, poursuit le père Coton, la peu charitable intention de ceux qui vont disant qu’il le savait tout par cœur [1]. Dans un autre livre le père Coton revint à la charge. Les hérétiques............ de France, dit-il [2], « veulent que Mariana ait induit Ravaillac à faire son coup malheureux et exécrable, comme le sachant tout par cœur : à quoi on répliquera cent et cent fois au péril de l’honneur, et de la vie, que Ravaillac ne vit, ne lut et n’entendit jamais le nom même de Mariana, si ce n’est quand on lui demanda s’il l’avait lu, et il répondit que non, et ne savait que c’était ; témoin le révérend père M. Coëffeteau, témoin aussi le procès verbal qui en a été dressé : d’où l’on doit inférer ce que peut la calomnie éshontément soutenue : car n’y ayant rien plus faux que de dire que ce malheureux ait seulement vu la couverture du livre de Mariana, quelques-uns du vulgaire néanmoins croient, à force de l’ouïr dire, qu’il le savait d’un bout à l’autre, comme il a été dit. J’ajouterai que quand bien Ravaillac l’aurait lu, toutefois il est très-faux que Mariana enseigne le meurtre et le parricide que ce malheureux a commis ; ce que néanmoins en cet endroit et par tout son libelle le calomniateur tâche de persuader. Ainsi il serait en certaine manière à désirer que Ravaillac eût lu Mariana, en cas qu’il l’eût pu entendre : car disertement, et expressément Mariana enseigne (comme le montre Gretsérus) qu’un prince légitime ne peut être tué par un particulier de son autorité privée. » Le père Coton se trompe : le livre de Mariana était fort propre à inspirer l’entreprise d’assassiner Henri IV ; car on y pouvait trouver que l’action de Jacques Clément était bonne, et que si la voix du peuple et le conseil de quelques personnes savantes concourent à déclarer que le prince opprime la religion, un particulier le peut tuer. Joignant ces deux choses ensemble, l’on en inférait la justice de l’assassinat d’Henri IV ; car si Henri III, catholique au souverain point, était l’oppresseur du catholicisme, parce qu’il travaillait pour les droits d’un prince hérétique qui devait être son successeur, on peut juger en général que tout prince qui est favorable aux hérétiques veut opprimer la religion. Or, s’il est permis de tuer un oppresseur de la religion, il est permis sans doute de se défaire de celui qui veut l’opprimer dès qu’il le pourra ; car la prudence ne permet pas que l’on laisse croître le mal jusques au point qu’il soit difficile d’y apporter du remède : il faut le prévenir et l’attaquer pendant qu’il est faible. D’ailleurs, par la voix du peuple on n’entend pas le jugement de tous les particuliers : il suffit que dans chaque ville il y ait plusieurs personnes qui joignent leurs voix pour certaines choses. Or il est indubitable que le royaume était plein de gens qui soupçonnaient Henri IV de vouloir faire triompher la religion réformée dès qu’il le pourrait, et de n’entreprendre la guerre contre la maison d’Autriche que dans cette vue. Ainsi Ravaillac, en raisonnant sur les principes de Mariana, et en y joignant selon la coutume un sens d’accommodation, pouvait fort bien croire qu’il n’avait pas moins de droit que Jacques Clément. Il ne se trouvait que trop de personnes doctes, et à son sens très-prudentes, qui le confirmaient dans son pernicieux dessein, et cela pour le bien de la religion. Voyez dans la remarque (K) sa réponse à ceux qui lui demandèrent pourquoi il avait commis cet assassinat, et souvenez-vous qu’il déclara devant les juges, que la volonté de tuer le roi lui vint pource que ce prince n’avait voulu (comme il en avait le pouvoir) réduire ceux de la religion prétendue réformée à l’église catholique, apostolique et romai-

  1. Lettre déclaratoire, pag. 13.
  2. Réponse apologétique à l’Anti-Coton, pag. 34.