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MARIANA.

moyen le plus court et le plus sûr de s’en défaire est d’assembler les états, et de le déposer dans cette assemblée, et d’y ordonner qu’on prendra les armes contre lui, si cela est nécessaire pour ôter la tyrannie ; 4°. qu’on peut faire mourir un tel prince, et que chaque particulier, qui aura assez de courage pour entreprendre de le tuer, a droit de le faire [1] ; 5°. que si l’on ne peut pas tenir les états, et qu’il paraisse néanmoins que la volonté du peuple est qu’on se défasse du tyran, il n’y a point de particulier qui ne puisse légitimement tuer ce prince, pour satisfaire aux désirs du peuple, qui votis publicis favens eum perimere tentavit, haudquaquàm iniquè eum fecisse existimabo [2] ; 6°. que le jugement d’un particulier ou de plusieurs ne suffit pas ; mais qu’il faut se régler sur la voix du peuple, et consulter même les hommes graves et doctes [3] ; 7°. qu’à la vérité il y a plus de courage à s’élever ouvertement contre le tyran ; mais qu’il n’y a pas moins de prudence à attaquer clandestinement, et à le faire périr dans les piéges qu’on lui tendra. Est quidem majoris virtutis et animi simultatem apertè exercere, palàm in hostem reipublicæ irruere : sed non minoris prudentiæ, fraudi et insidiis locum captare, quod sinè motu contingat minori certè periculo publico atque privato [4]. Il veut donc, ou qu’on l’attaque dans son palais à main armée, ou que l’on conspire contre lui ; il veut que la guerre ouverte, les ruses, les fraudes, les trahisons, soient également permises : et si les conspirateurs, ajoute-t-il, ne sont pas tués dans l’entreprise, ils doivent être admirés toute leur vie comme des héros ; s’ils périssent, ce sont des victimes agréables à Dieu et aux hommes, et leurs efforts méritent des louanges immortelles. Aut in apertam vim prorumpitur, seditione factâ armisque publicè sumptis…. aut majori cautione, fraude et ex insidiis pereunt, uno aut paucis in ejus caput occultè conjuratis, suoque periculo reipublicæ incolumitatem redimere satagentibus. Quòd si evaserint, instar magnorum heroum in omni vitâ suscipiuntur : si secùs accidat, grata superis, grata hominibus hostia cadunt, nobili conatu ad omnem posteritatis memoriam illustrati. Itaque apertè vi et armis posse occidi tyrannum, Sive impetu in regiam facto, sive commissâ pugnâ in confesso est. Sed et dolo atque insidiis exceptum [5] ; 8°. qu’encore qu’il ne semble pas y avoir de la différence entre un assassin qui tue d’un coup de couteau, et un homme qui empoisonne, néanmoins parce que le christianisme a abrogé les lois des Athéniens qui ordonnaient aux coupables d’avaler un breuvage empoisonné, Mariana n’approuve point que l’on se défasse d’un tyran par le moyen d’un poison mêlé dans les alimens : il veut que si l’on recourt au poison, on l’applique ou aux habits ou à la selle du cheval. Ergò, me auctore, neque noxum medicamentum hosti detur, neque lethale venenum in cibo et potu temperetur in ejus perniciem. Hoc tamen temperamento uti, in hâc quidem disputatione licebit, si non ipse qui perimitur venenum haurire cogitur, quo intimis medullis concepto pereat : sed exteriùs ab alio adhibeatur nihil adjuvante eo qui perimendus est. Nimirùm cùm tanta vis est veneni, ut sellâ eo aut veste delibutâ vim interficiendi habeat [6].

Voilà le système de ce jésuite. La dernière pièce en est très-impertinente. C’est une distinction ridicule ; car un homme qui avale du poison sans le savoir, et en croyant que c’est une bonne nourriture, ne contracte en aucune sorte le crime de ceux qui se font mourir eux-mêmes ; et c’est néanmoins pour épargner un si grand crime au tyran, que Mariana ne veut point qu’on lui fasse boire ou qu’on lui fasse manger du poison [7]. De plus, s’il était vrai

  1. Principem publicum hostem declaratum ferro perimere, eademque facultas esto cuicunque privato, qui spe impunitatis abjectâ, neglectâ salute in conatum juvandi rempublicam ingredi voluerit. Idem, pag. 60.
  2. Idem, ibidem.
  3. Neque enim id in cujusquam privati arbitrio ponimus : non in multorum, nisi publica vox populi adsit, viri eruditi et graves in consilium adhibentur. Idem, ibidem.
  4. Ibid., cap. VII, pag. 65.
  5. Idem, ibid., pag. 64.
  6. Ibidem, pag. 67.
  7. Crudele existimârunt, atque à christianis moribus alienum, quantumvis flagitis coo-