Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/274

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
264
MARIANA.

ce qui se trouve d’absurde dans sa remarque sur Ribadéneira : c’est une chose qui a été solidement réfutée par le savant homme qui lui répliqua [1].

(G) Il n’y a rien de plus séditieux... que ce livre de Mariana. ] Il a pour titre : de Rege et Regis institutione, et il fut imprimé à Tolède, l’an 1598, avec privilége du roi, et avec les approbations ordinaires. L’auteur s’étant proposé d’examiner dans le Vle. chapitre du Ier. livre, s’il est permis de se défaire d’un tyran, entre en matière par le récit de la fin tragique de Henri III. Il admire le courage de Jacques Clément, et il dit que les opinions furent diverses sur l’action de ce jeune moine : les uns la louèrent, et la crurent digne de l’immortalité ; les autres la blâmèrent, parce qu’ils étaient persuadés qu’il n’est jamais permis à un simple particulier de tuer un prince déclaré roi par la nation, et oint de l’huile sacrée, selon la coutume, quoique ce prince soit devenu un scélérat et un tyran. De facto monachi non una opinio fuit, multis laudantibus atque immortalitate dignum judicantibus : vituperant alii prudendiæ et eruditionis laude præstantes, fas esse negantes cuiquam privatâ auctoritate regem consensu populi renunciatum, sacroque oleo de more delibutum sanctumque adeô perimere, sit ille quamvis perditis moribus, atque in tyrannidem degenerârit [2]. On voit clairement que Mariana est de ceux qui approuvèrent l’action de Jacques Clément ; car il rejette le principe en vertu duquel des personnes sages et savantes la condamnèrent. D’ailleurs, il affecte de relever le courage et la fermeté intrépide de cet assassin, sans se laisser échapper un mot qui tende à le rendre odieux au lecteur. Cette observation découvre admirablement tout le venin de la doctrine de ce jésuite ; car il est certain qu’il ne débute par l’exemple de Henri III, que pour descendre de la thèse à l’hypothèse, et pour montrer aux peuples un cas insigne de tyrannie, afin que toutes les fois qu’ils se trouveront en semblable état, ils se croient dans les circonstances où il est permis de faire jouer le couteau contre leurs monarques. Mais s’il est une fois permis d’en venir là, lorsqu’on se trouve sous un prince tel qu’Henri III, je ne sais point où sont les monarques qui ne doivent craindre d’être assassinés, ou détrônés, car on fait bientôt compensation entre le bien et le mal de deux conditions. Si les défauts du gouvernement ne sont pas les mêmes que sous Henri III, on se contentera de dire que tout bien compté ils les égalent, et l’on concluera que l’on se trouve dans le cas que le jésuite a marqué. Quoi qu’il en soit, continuons l’exposition de son système.

Mariana rapporte les raisons de ceux qui blâmèrent Jacques Clément ; c’est-à-dire, selon lui, les raisons de ceux qui prêchent qu’il faut se soumettre patiemment au joug tyrannique de son légitime souverain : et avant que d’y répondre [3], il allègue les argumens du parti contraire, appuyés sur cette base fondamentale ; c’est que l’autorité du peuple est supérieure à celle des rois [4]. C’est sa thèse favorite, il emploie deux chapitres [5] tout entiers à la prouver. Ayant allégué les raisons de chaque parti, il prononce : 1°. que selon le sentiment des théologiens et des philosophes, un prince qui, de vive force et sans le consentement public de la nation s’est saisi de la souveraineté, est un homme à qui chaque particulier est en droit d’ôter la vie : Perimi à quocunque, vitâ et principatu spoliari posse [6] ; 2°. que si un prince créé légitimement, ou successeur légitime de ses ancêtres, renverse la religion et les lois publiques, sans déférer aux remontrances de la nation, il faut s’en défaire par les voies les plus sûres ; 3°. que le

  1. Voyez la Défense de la Critique de M. Varillas, pag. 65.
  2. Mariana, de Rege et Regis Institutione, lib. I, cap. VI, pag. m. 54.
  3. Il les réfute à la fin de ce chapitre VI.
  4. A republicâ, undè ortum habet regia potestas, rebus exigentibus regem in jus vocari posse, et si sanitatem respuat principatu spoliari, neque ita in principem jura potestatis transtulit, ut non sibi majorem reservarit potestatem. Mariana, de Rege et Regis Institutione, lib. I, cap. VI, pag. 57.
  5. Le VIIIe. et le IXe. du Ier. livre.
  6. Mariana, de Rege et Regis Institutione, pag. 58.