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MARIANA.

Sicile, dans l’empire romain ; un détail assez particulier de la république de Carthage, qui n’est point ailleurs mieux que là : les siéges de Sagunte et de Numance, le passage d’Annibal en Italie : la suite des empereurs, la naissance du christianisme ; la prédication de l’Évangile ; les conquêtes des Arabes, et plusieurs autres traits qui ont du grand : c’est un génie qui ne se fait que de grandes matières, lesquelles tiennent toujours par quelque chose à l’histoire d’Espagne. En quoi jamais historien n’a tant fait d’honneur à son pays par aucun ouvrage ; car il donne à sa nation tout ce qui s’est jamais fait de grand au monde [1]. Parmi les modernes, continue le père Rapin [2], je trouve Mariana, Davila, Fra-Paolo, d’admirables génies pour l’histoire. Mariana a le talent de penser, et de dire noblement ce qu’il pense et ce qu’il dit, et d’imprimer un caractère de grandeur à ce qui lui passe par l’esprit [3]... Mariana, dans son histoire d’Espagne, n’a été surpassé d’aucun moderne, ni par la grandeur du dessein, ni par la noblesse du style : il est plus exact que les autres, et il juge sainement de tout. Joignons à tant d’éloges, non pas ce qu’a dit un autre jésuite en faveur de Mariana [4], mais ce qu’en a dit un protestant. Inter Latinos omnibus palmam præripit Johannes Mariana Hispanus, rerum Hispanicarum cognitione nemini secundus. Valuit verò Mariana insigni eloquentiâ, prudentiâ, et magnâ libertate dicendi : hinc et libertatis studiosissimus in reges suos sæpè est mordax [5].

Quelque beau que soit ce livre de Mariana, il ne laisse pas de contenir plusieurs fautes qui ont été critiquées en partie par un secrétaire du connétable de Castille. Ce censeur se nomme Pédro Mantuano. Il publia sa critique à Milan, in-4°, l’an 1611 [6], et l’intitula Advertencias à la historia de Juan de Mariana. Il n’avait alors que vingt-six ans. Thomas Tamaïus de Vargas, qui répondit pour Mariana, raconte une chose qui tient du prodige ; c’est que Mariana ne voulut jamais jeter les yeux, ni sur l’ouvrage de son censeur, ni sur l’ouvrage de son apologiste, quoique ce dernier lui eût offert son manuscrit avant que de le donner à l’imprimeur, et l’eût prié de le corriger. Noluisse Marianam legere, nec Mantuani censuram, nec Tamaji amicissimi capitis apologiam, etiam antè editionem sibi ab authore ad pervidendum et emendandum oblatam, quod credet vix posteritas [7]. On a publié dans l’Histoire des ouvrages des Savans, à la page 139 du mois de novembre 1693, le dessein d’une traduction française de Mariana, qui sera accompagnée de belles notes. Le public doit souhaiter de jouir bientôt de ce travail. On imprima en Hollande, l’an 1694, un abrégé chronologique de l’histoire d’Espagne, tiré principalement de Mariana. C’est un livre que l’on attribue à une demoiselle de Rouen [8] réfugiée en Angleterre pour la religion.

(E) Son traité du changement des Monnaies [9] lui fit des affaires à la cour d’Espagne. ] Alegambe s’est contenté de nous dire que cet ouvrage découvrait les fraudes du temps, et qu’à la requête de l’ambassadeur d’Espagne il fut suspendu par Paul V ; mais que la suite fit voir que Mariana, persécuté pour ce livre, avait aimé la justice et la vérité. In tractatu de Monetæ mutatione cùm acriùs corruptelam sui temporis perstrinxisset, gravem in se conscivit procellam ; et tractatus ipse postulante catholici regis oratore, à summo pontifice Paulo V tantisper suspensus fuit, donec invidia et cum eâ tempestas conquievit ; docueruntque posteriora tempora veri rectique amantem fuisse

  1. Rapin, Réflexions sur l’Histoire, num. 22, pag. 280.
  2. Là même, num. 26, pag. 293.
  3. Là même, sub fin., pag. 305.
  4. Quid ? Mariani gravem et decoram constructionem, sonantia verba, splendorem, narrandique sublimitatem, copiosum ingenium in non impari materiâ, quæ ætas non reverebitur ? Clarus Bonarscius, in Amphitheatro Honoris, lib. II, cap. XIII, pag. m. 192.
  5. Herm. Conringius de Regno hisp., apud Pope Blount, Censura autorum, pag. 614.
  6. Et puis de l’imprimerie royale une édition plus correcte. Nicolas Antonio, ubi infrà, tom. II, pag. 170.
  7. Nicol. Anton., Biblioth. Script. hispan., tom. I, pag. 561.
  8. Nommée mademoiselle de la Roche.
  9. Il fut imprimé à Cologne, in-folio, l’an 1609, avec six autres traités de Mariana.