Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/269

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
259
MARIANA.

ses [* 1] mains furent aussi souples et maniables après sa mort que s’il eût été en vie. J’avoue franchement que je ne vois pas la liaison de ces deux choses. » Je crois comme lui qu’il serait bien difficile de donner une raison naturelle d’un tel effet de la chasteté ; et quant aux raisons miraculeuses, je ne sais pas sur quel rapport, ou sur quelle analogie on les pourrait appuyer. Peut-être se fondait-on sur l’argument des contraires, et cela en conséquence d’une tradition monacale, qui établit que tous ceux qui ont à faire à des religieuses, sont accusés après leur mort, et convaincus de cette action par une certaine raideur qui se remarque dans la partie par laquelle ils ont péché. Notabile est quod Mariani [1] dicunt, eum qui spurium ex moniali procreârit, singularissimè à Deo post mortem puniri, uti celeberrimus medicus Leonellus Faventinus, c. 7, secundæ partis practicæ medicinalis hoc mysterium naturæ aperuit, qui coit, inquiens, cum monachâ vel moniali, quandò talis moritur, remanet virga ejus tensa, Unde dicitur in carmine apud vulgares :

Qui monachâ potitur, virgâ tendente moritur.


Cujus et meminit Wolfgangus Hidebrandus Mag. Nat. l. r. c. 31, p. 34. Erford. impress. 16. 22. Et fortè an etiam moniales stupratæ post mortem peculiari signo notantur, quòd honoris et pudoris ergò reticetur. Certè si miracula hæc quotidiè contingerent, pauciores spurii invinerentur [2]. Les paroles de Léonel Faventinus, que je viens de rapporter, ont été citées par Henri Korman, au chapitre LXVII de la IVe. partie des Miracles des morts.

Je remarquerai par occasion quelques singularités fort notables qui se trouvent dans Alegambe, sur la chasteté de certains jésuites. Il dit que le père Gil, qui mourut l’an 1622 à l’âge de soixante et treize ans, ne connaissait de visage aucune femme, tant il prenait garde que ses sens ne s’arrêtassent sur ces objets. Il se craignait lui-même : il avait presque horreur de se toucher ; et il rendit grâce à Dieu d’avoir la vue mauvaise, parce que cela lui avait fourni de grands remèdes de chasteté. Erat severissimus suorum sensuum custos : nullam tot annis feminam de facie noverat ; se quoque ipsum attingere quodammodò horrebat. Agebat Deo gratias pro hebetatâ sibi acie oculorum ; ex quo multa conmoda castimontæ persentisceret [3]. Le père Costérus avoua que jamais sa chasteté ne fut vaincue par aucun mouvement irrégulier, ni par quelque imagination malhonnête [4]. Le père Coton, qui avait été confesseur d’un prince fort impudique [* 2], et dont la cour avait suivi la maxime,

Regis ad exemplum totus componitur orbis,


mourut vierge, et conserva de telle sorte la pureté intérieure, qu’il avait horreur de tout ce qui pouvait choquer cette vertu : et il avait l’odorat si fin à cet égard, que les personnes qui l’approchaient après avoir violé les lois de la chasteté, excitaient en lui un sentiment de puanteur insupportable. Castitatem impensè coluit, et virginitatis decus ad extremum usquè obtinuit. Sensus frænabat accuratâ custodiâ, et horrore quodam impuritatis ; quam etiam in iis qui se illâ fœdâssent, ex graveolentiâ nescio quâ discernebat [5]. Le père Spiga, qui mourut l’an 1594, âge de soixante et quatorze ans, passait pour vierge : il n’avait jamais regardé aucune femme, et il n’aurait su distinguer ses propres nièces les unes des autres, quoiqu’il eût été leur confesseur ; et il ne serait entré chez elles pour rien du monde, quand il savait qu’elles étaient seules. Castitati tuendæ, nunquàm feminas intuitus est. Neptes suas, quas crebrò confitentes audierat, inter se distinguere nesciebat ; ad illas, si domi solæ essent, non poterat induci ut intraret, quanticunque momenti negotio urgeretur. Opinio constans

  1. (*) Castitatis cultor studiosissimus, cujus aliquis effectus esse potuerit quòd mortuo manus fuerint ita tractabiles ac si viveret.
  2. * Henri IV.
  1. C’est ainsi que cet auteur nomme les catholiques romains, comme s’ils avaient la Sainte Vierge pour le chef de leur religion.
  2. Lyser. Polygamia triumphat., pag. 314.
  3. Alegambe, pag. 369, col. 1.
  4. Virginitatem nullâ unquàm cogitatione aut indecoro motu oppugnatam se servâsse fassus est ipse aliquandò. Idem, pag. 118.
  5. Idem, pag. 379, col. 2.