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MAMILLAIRES.

tre donné des éloges plus dignes d’un capitan de théâtre, que d’un honnête homme, et j’ai cité deux auteurs, dont l’un le condamne[1], ou ne le justifie qu’ironiquement[2] ; et l’autre l’excuse tout de bon, et fait voir que la licence de se donner de pompeux éloges est un ancien privilége des enfans des muses[3]. Il observe que Virgile, Horace et Ovide s’en sont servis. Il a traité cette matière plus amplement dans un autre ouvrage ; car il a rapporté[4] les endroits où Ennius, Nævius, Plaute, Catulle, Lucrèce, Virgile, Horace, Ovide, Properce, Lucain, Stace et Martial, se louent eux-mêmes. Il a fait voir[5] que les modernes[6] ont imité ces exemples. Notez qu’il remonte jusques aux poëtes grecs ; car il a cité[7] Pindare, Hésiode, Théocrite et Moschus. Je rabrouai l’autre jour un homme, qui me disait que ceux qui prétendent que la Grèce n’a rien su qu’elle n’eût appris des Phéniciens ont oublié une remarque qui les favorise ; c’est que les poëtes, qui ont promis l’immortalité aux personnes qu’ils louaient ont emprunté cette idée de l’Épithalame contenu dans le psaume XLV, qui finit ainsi selon la version de Buchanan :

Nectu, carminibus, regina, tacebere nostris,
Quâque patet tellus liquido circumsona ponto,
Posteritas te sera canet, dumque aurea volvet
Astra polus, memori semper celebrabere famâ.


La traduction de Marot applique plus clairement les espérances du poëte à la vertu de ses poésies.

Quant est de moi, à ton nom et ta gloire
Ferai escrits d’éternelle mémoire,
Et par lesquels les gens à l’avenir
Sans fin voudront te chanter et bénir.


Je dis à cet homme-là que sa remarque me paraissait puérile, et qu’il avait grand tort de s’étonner que M. Ménage ne s’en fût pas prévalu, M. Ménage avait trop de jugement pour mêler les autorités profanes avec les sacrées.

(I) Balzac parle de lui, lorsqu’il se moque d’un certain tyran des syllabes. ] La description est bien forte, et nous peut convaincre qu’il y a des gens qui après leur mort ne sont guère ménagés par les personnes dont ils avaient reçu mille marques de vénération. On s’imagine que pourvu qu’on ne les fasse pas connaître par leur nom, il est permis de les bien fronder. Voici en tout cas ma preuve : « Vous vous souvenez du vieux pédagogue de la cour, et qu’on appelait autrefois tyran des mots et des syllabes, et qui s’appelait lui-même, lorsqu’il était en belle humeur, le grammairien à lunettes et en cheveux gris. N’ayons point dessein d’imiter ce que l’on conte de ridicule de ce vieux docteur. Notre ambition se doit proposer de meilleurs exemples. J’ai pitié d’un homme qui fait de si grandes différences entre pas et point ; qui traite l’affaire des gérondifs et des participes, comme si c’était celle de deux peuples voisins l’un de l’autre, et jaloux de leurs frontières. Ce docteur en langue vulgaire avait accoutumé de dire que depuis tant d’années il travaillait à dégasconner la cour, et qu’il n’en pouvait venir à bout. La mort l’attrapa sur l’arrondissement d’une période, et l’an climatérique l’avait surpris, délibérant si erreur et doute étaient masculins ou féminins. Avec quelle attention voulait-il qu’on l’écoutât, quand il dogmatisait de l’usage et de la vertu des particules[8] ? »

  1. Costar, lettre L du Ier. volume, p. 126.
  2. Le même, Suite de la Défense de Voiture, pag. m. 32.
  3. Ménage, Observations sur les Poésies de Malberbe, pag. 331 et suiv.
  4. Le même, Anti-Baillet, tom. II, chap. CXXXIX.
  5. Là même, chap. CXXXVII, CXL.
  6. Le père Casimir Sarbieschi, le père Vavasseur, le père Rapin, le père Commire, dans leurs vers latins ; Ronsard, Joachim du Bellai, Malberbe, du Périer, dans leurs vers français.
  7. Ménage, Anti-Baillet, tom. II, chap. CXXXVIII.
  8. Balzac, Socrate chrétien, discours X, pag. m. 267, 268.

MAMILLAIRES, secte parmi les anabaptistes. Je ne sais pas bien le temps où ce nouveau schisme se forma ; mais on donne la ville de Harlem pour le lieu natal de cette subdivision[a]. Elle doit son origine à la liberté

  1. Voyez Micrælius, Syntagm. Histor. Eccles.. pag. 1012. édition 1679.